La Vieille n'a rien vu de mon « ravalement ». Mais le Vieux a tilté et n'a pas aimé. Et j'ai eu droit à une sympathique remarque : « Évite ce genre de chose pour aller à l'école. Et même évite certains quartiers... »
J'ai ri, mais il ne riait pas. Et cinq minutes après j'ai compris ce qu'il sous-entendait par les « quartiers ». Oui ok genre Pigalle, rue St Denis, charmant papy!
Je vais aller me coucher, mais il faudrait que je me démaquille avant. Et j'ai rien...
Tiens un sms de David...
« Pardone mi j'é boin de parlé... »
Pas bien compris tout de suite. Mais j'ai l'impression qu'il veut parler? Il a l'air à l'ouest vraiment avec ce sms, bourré ou bien perché...
J'aimerais renouer avec David, mais il tourne mal. Et je suis censée quand même lui faire la gueule. Ma fiereté m'empêche de faire le tout premier pas. On ne se verra pas pendant les fêtes un point c'est tout.
Je réalise que trente minutes viennent de passer depuis le SMS. Et qu'est-ce qu'en j'en ai fait de ces trente minutes ? Et bien que de l'hésitation. Le cerveau en pleine gamberge.
Dans un mélange de colère et d'envie, je lui balance finalement un message!
« Comprends rien à ton message tu veux quoi? »
Silence de mort qui m'angoisse. Ai-je été trop froide?
« A mon tour d'avoir besoin de toi »
Ce message me bouleverse et ma main sur le clavier virtuel prend le dessus sur mon cerveau...
« Sur notre banc maintenant? »
Pas de réponse. Mais je suis complètement folle d'avoir envoyé ce message. Les Vieux vont pas me laisser sortir. Jamais. Et le père de David non plus. Il va me prendre pour une débile, ou une fille amoureuse.
« Dans quinze minutes j'y suis »
Aïe j'ai quinze minutes pour me faire belle. Ah non c'est déjà fait, je ressemble à une pute. Bon et je peux rien y faire. Autre objectif : sortir sans problème. Aucune idée.
Sortir en cachette : mmmh risqué et le banc est sous les fenêtres des Vieux. Non non et non. Et ce chien qui n'arrête pas de me lécher la main et qui m'empêche de me concentrer...il me reste cinq minutes et il va se prendre un lapin. Le pauvre c'est horrible. Et pourquoi je n'ai pas dit demain? Il est encore temps de lui envoyer un SMS? Non il est en route, s'il se prend un vent, c'en est fini de notre amitié. Han et ce chien qui soupire et qui fait des bruits bizarres comme un dernier soupir avant la mort...pour une fois le Chien, tais-toi! Ou aide-moi!
Oui!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! LE CHIEN!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Je réveille le Chien qui commençait à passer l'arme à gauche. Il me reste deux minutes. Mais un cabot pareil à secouer c'est très dur. Alors je le surexcite, et je le chatouille. Il aime mais il ne se relève pas. Il est dans un coma de plaisir. Mince... Je le prends par le collier ce pauvre Chien, il se relève et je lui chuchote un mot à l'oreille : « Le Chien fais moi plaisir, c'est le cadeau de Noël que je te demande, rien d'autre ».
Miracle le Chien se lève, baille, soupire la mort, et semble malgré tout prêt à me suivre. Je vais frapper au bureau du Vieux qui m'ouvre :
- Je dois aller promener le Chien!
- A cette heure? Mais c'est pas son heure!
- Euh...bah...comment dire... (je prends un air dégoûté)... il a des gaz c'est insoutenable!
- Han c'est encore ma femme qui lui a donné un truc à manger, ok vas-y, merci Sarah.
Un Vieux content, une Sarah contente. Et un Chien qui ne comprend rien à ce qui lui arrive. En trente secondes je suis dehors avec le Chien en laisse qui est complètement déboussolé. Mais il n'a aucune envie de faire ses besoins.
Je me retourne vers la fenêtre du Vieux. Il agite sa main, je hausse les épaules en regardant le Chien. Il ferme ses rideaux, rassuré.
Vingt minutes depuis notre dernier échange. La gourde c'est moi. Il ne viendra pas. Une larme monte et je fais un câlin au Chien. « Allez on remonte ».
Quelqu'un vient s'asseoir sur le banc, je prends peur, le Chien se met à grogner. Ouf c'est David, le Chien sent mon calme et s'assied sur le trottoir. David a les yeux boursoufflés. Moi qui m'y connaîs en glande lacrymale, je pense qu'il a pleuré, beaucoup.
Il pleuviotte comme toute la journée aujourd'hui dans la Capitale. David n'a pas envie de parler en fait. Mais il a pris la même place que la fois d'avant. Je reprends la mienne, collée à lui. Les minutes passent et on ne se parle pas. Mais je sens qu'on est bien. David ouvre la bouche :
- Je savais pas si tu voudrais me parler.
- J'étais pas sûre.
- Je me sens pas bien, tu l'as vu?
- Ben oui je t'en ai parlé...
- Je me souviens même pas, je fume trop...
- Pourquoi?
- Pourquoi quoi?
- A toi de me le dire...
Et on échange un regard vif, un mélange d'interrogation, de colère, de rancœur, de tendresse. Tout ça mêlé. Quelques secondes de silence passent. David sort de sa torpeur :
- C'est une date anniversaire trop difficile pour moi.
- Ta maman?
- Oui comment... ah oui je t'en ai un peu parlé c'est vrai. Elle est morte et elle me manque. Et mon père déraille complètement...
Il n'avait plus besoin de parler, on a communiqué du regard pendant quelques secondes avant de regarder droit devant nous, sans gêne. Le silence faisant son travail. De longues minutes s'écoulaient naturellement. On était bien, sous la pluie, trempés.
- Je peux te poser une question Sarah?
- Oui? dis-je intriguée et presque inquiète.
- Qu'est-ce que t'as fait à ton visage?
Pendant un instant je fronce les sourcils, je suis circonspecte. Je touche mes joues, mes doigts sont noirs...le maquillage de Yunso a coulé! On ne m'y reprendra pas lol, je suis ridicule, je ris de moi-même, et il rit de moi. Il m'embrasse sur la joue et disparaît.
Je me relève et là j'aperçois le Vieux très suspicieux par sa fenêtre. La moutarde est en train de lui monter au nez. Je suis partie pour passer à la casserole. Et là le Chien tire la laisse vers le caniveau et sort une énorme et dégoûtante crotte. Je regarde le Vieux et je lui montre du doigt le Chien et son horrible crotte. Le Vieux acquiesce et ferme le rideau. Aucun commentaire une fois dans l'appart'.
J'embrasse le Chien qui m'a fait le plus beau des cadeaux. Une crotte.