C'est un moment difficile que j'ai vécu cet après-midi. C'est tout d'abord le dernier cours d'arts plastiques de la saison. Comme c'est une option ça finit plus tôt. De plus dans les cours pratiques du mercredi, les 1ères et les Terminales sont mélangés. Nous sommes quand même séparés dans les cours théoriques.
Pourquoi je disais ça ? Ah oui, les Terminales doivent aller réviser et finissent plus tôt les cours que les 1ères.
D'où cet épilogue avancé.
La prof nous propose un drôle d'exercice : « Nous avons utilisé nos mains et nos bras toute l'année pour fabriquer, nous avons utilisé nos yeux pour contempler. Pour finir cette année en beauté je souhaiterais qu'on utilise notre bouche et nos oreilles. »
Tout le monde s'interroge... va-t-on peindre avec la bouche et les oreilles ? Berk.
« Vous allez réaliser votre dernière œuvre de la saison, un résumé à lire devant tout le monde de cette belle année que nous avons passée ensemble. »
Tout le monde panique, tu parles d'un adieu, c'est le comble du ridicule.
Et tout le monde y va à reculons. Aucune inspiration et nous n'avons qu'une heure. Au bout d'un quart d'heure tout le monde bavarde. Un échec.
Une fois le timing écoulé, tout le monde passe à la casserole et ce n'est pas brillant : « Merci merci pour toutes les bonnes notes », « L'Art c'est top et c'est moins chiant que le reste », « Vive l'Art mais qu'est-ce que l'Art ? » Bref ça volait pas haut ou trop haut je ne sais pas.
Toute le monde ricanait dans son coin, un supplice stérile. Le temps passait et plusieurs planqués commençaient à espérer passer au travers. La prof demande « Qui n'est pas passé ? ». Et personne ne se désigne...
Sauf un, le Tatoué, et d'une manière singulière... « Madame la fille au fond elle est pas passée ». Évidemment c'est moi « la fille au fond ». Je rougis, la prof m'incite à venir réciter ma prose. J'entends glousser dans les coins...
Je commence d'une toute petite voix :
« Un havre de liberté et de paix dans un monde de brutes.
Une introspection de tous ses propres abîmes à vous en donner le vertige,
Face à une page désespérément blanche qui vous nargue.
Un accouchement d'œuvres très périssables qui n'ont de sens que dans le présent.
L'Art n'est pas exempt d'égo et de ses jaloux, de ses rivaux, de ses naïfs talentueux.
Un monde pas comme les autres avec son langage propre mais universel... »
Il y a un silence de mort. Mon truc tranche avec le reste et pourrait faire croire que je me la pète. Mais finalement j'ai l'impression que personne n'a rien compris. Ni moi d'ailleurs. Le Tatoué se risque alors à un commentaire qui fait rire toute la classe : « C'est nous les brutes ? ». La prof me gratifie d'un « Intéressant Sonia ».
Ce qui fait rire toute la classe. Elle aurait pu trouver un autre prénom quand même, car celui-là me porte définitivement malheur.
En fin de cours c'est le choc, la prof fait une annonce fracassante :
« Je vous remercie tous pour cette belle année. C'était un honneur et un plaisir de travailler avec vous. J'ai d'autant plus d'émotion cette année que c'est mon dernier cours dans ce lycée. J'enseignerai l'année prochaine dans un autre lycée. Donc vous quitter est doublement difficile. Mais ne vous inquiétez pas je reste très présente jusqu'à fin juin, notamment pour le gala artistique et la comédie musicale... »
Et ben voilà. C'est toujours pareil. Quand j'apprécie vraiment quelqu'un, il faut que cette personne fiche le camp : Paola, maintenant madame Karlin la prof d'arts plastoc... Mais où va s'arrêter cette hécatombe ?
Et surtout sur qui vais-je tomber l'année prochaine... Je me console en me disant que le Tatoué aura déguerpi car il est en Terminale. Ne vendons pas trop vite la peau de l'ours, il pourrait redoubler !!!
En quittant la classe j'ai les larmes aux yeux. Mais je tente de dissimuler mon émotion. C'était un cours idyllique qui m'a donné confiance de manière inespérée. La prof était excentrique et savoureuse à souhait, source d'innombrables posts. Je réalise que c'est ma plus belle expérience scolaire...
Bon c'est relatif...