Maintenant que je suis bonne pour la prison, il y a prescription. Je peux raconter tout ce qui s'est passé depuis mon dernier post, celui du 1er août.
David et moi, on s'est transformés en fugitifs mineurs, synonyme de fugueurs ! Traqués par... rien !
On a pris le train, un corail couchettes sans payer !!! La 1ère fois que je fraudais ! Et sûrement la dernière, vu où je suis... Je n'avais pas un rond et David ne voulait pas entamer son petit magot. Je n'avais pas envie du tout de prendre ce risque-là mais lui si !
On arrive à la Gare d'Austerlitz vers 21 heures, surexcités. David sait que c'est la seule gare avec des trains de nuit. Aucune destination en tête. Mon ami prend les choses en main, regarde le panneau des départs et pointe du doigt un train qui part dans 23 minutes, son visage s'illumine :
- T'es déjà allée là-bas ?
- Non... j'ai pas trop quitté la région dans ma vie
Pour ne pas dire jamais !
- Tu vas adorer... On y va ?
- Je vais voir si y reste des places sur un distributeur...
- Ça sert à rien...
J'ai haussé les épaules. N'en faisant qu'à ma tête, j'ai vérifié à un distributeur et blanchi à la vue du prix : 130 euros par personne pour un aller simple...
David m'a alors prise par le bras, et poussée dans le wagon juste avant le sifflement du départ. Quand le train a démarré nous avons été pris par l'émotion. On s'est regardés puis on s'est retournés vers la fenêtre et la gare qui s'éloignait. La cavale pouvait commencer ! J'étais émue, partagée entre plein de sentiments. Excitée par la liberté, navrée par ma fuite, et choquée par ma fraude ! David avait l'air uniquement porté par le bonheur ! Un tourbillon de joie que je ne pouvais plus m'empêcher de suivre, happée, hypnotisée, conquise !
Durant le trajet, nous avons joué à cache à cache avec le contrôleur. Il souhaitait visiblement se débarrasser des contrôles au plus tôt, sûrement l'envie de dormir très vite ? On est d'abord allés se cacher aux toilettes alors qu'on l'entendait venir. Puis pas un bruit. Je mets alors un pied dehors et bingo juste à la sortie du pipi-room : « Contrôle des billets ! Vous avez un billet ? »
Comme je ne suis pas douée pour mentir, j'allais dire toute la vérité quand David est sorti de sa planque :
- Oui oui monsieur on a nos billets, ils sont à notre place en bout de train.
- Mais vous êtes à l'avant là ! objecte-t-il avec un fort accent du sud, comme le ferait une caricature de gendarme !
- Ben oui on se balade un peu, on visite...
- Bon je vous retrouverai là-bas alors, mais je vous oublierai pas !
David a ricané alors que le contrôleur n'était pas bien loin, comme s'il voulait jouer avec le feu ! J'ai alors vu le contrôleur lui lancer un regard noir...
On a fini par le retrouver sans le vouloir à la voiture-bar, David a fait mine d'aller s'acheter un mars au distributeur et je me suis retrouvée seule face à lui comme une idiote :
- Je vous ai contrôlée mademoiselle déjà ?
- Ah ben oui...
- Vous êtes sûre... ? dit-il tout en observant le dos de David avec méfiance.
Puis il s'est laissé déconcentrer par un voyageur qui avait l'air très malade et qui a fini par dégobiller sur ses chaussures. J'ai pris la poudre d'escampette avec David qui ricanait encore une fois :
- T'as pris de la bouteille !!!
- C'est pas drôle, j'ai honte.
- On est tranquilles, il va devoir faire partir le vomi.
J'en ai encore tellement honte que j'ai besoin de tout raconter. Puis on l'a recroisé dans un couloir au loin, ce fichu contrôleur, on est alors rentrés dans un compartiment occupé, au hasard ! Il y avait une mamie avec deux enfants très turbulents : « Calmez-vous ou je vous abandonne dans la prochaine ville ! » leur hurle-t-elle à tue-tête pendant qu'on referme discrètement la porte derrière nous. Les deux gamins se fichent royalement de l'autorité de leur grand-mère...
- T'aimes les enfants non ? me lance David en chuchotant.
- Ben pas spécialement...
- T'as fait du babysitting non ?
- Ça s'est pas très bien terminé...
- C'est l'expérience qui compte... J'ai une idée...
La dame s'inquiète un peu de notre présence et les enfants se demandent qui on est :
- Vous cherchez quelque chose ?
- Oui Madame, on a un problème dans notre compartiment, un voyageur malade... il vomit partout.
- Ah quelle horreur ! Mes petits fils m'ont fait le coup une fois, dans le train et je savais plus où me mettre...
- Vous savez qu'on adore les enfants, Sarah fait beaucoup de babysitting...
- Ah bon ?
La dame semble soudainement très intéressée... Mais le contrôleur se rapproche ! Je commence à rougir, à transpirer, à me liquéfier, je ne peux plus rien faire ! C'est la fin ! On va se faire débarquer en rase campagne !!!
- Qui veut jouer à cache-cache ??? lance David dans la surprise générale.
- Moi moi moi !!! crient les enfants, fous de joie.
C'est Sarah qui nous cherche !
La grand-mère sourit. David va se cacher sous la couette avec les enfants... Hé oui, dans les trains couchettes, il y a des couettes !!! Et on n'est pas en 1ère pourtant... Le contrôleur ouvre la porte :
- Contrôle des billets madame ! Euh mesdames...
- C'est quoi cette odeur ? lance la dame méfiante...
- Ah c'est peut-être moi..., s'inquiète le contrôleur à l'accent chantant.
- Voilà nos billets ! Qu'est-ce que ça pue..., insiste la dame.
- Je vois que vous avez deux enfants sur vos billets...
- Oui ils jouent sous la couette là... mais d'où vient cette puanteur ? Ça sent fort le vomi non... ?
- Bon et vous mademoiselle... je sais plus... je vous ai déjà vue non ?
Je suis pétrifiée :
- Oui oui oui encore oui, vous n'arrêtez pas de me poser la question...
La grand-mère vient à ma rescousse sans le savoir :
- Je vais tourner de l'œil avec cette odeur...
Le contrôleur met alors les voiles, tout gêné et pousse un grognement d'impatience. OUF !!!
Il était 23h30... Le reste de la nuit fut plus calme. Nous sommes restés dans le compartiment de la dame, David est sorti de sa couette avant de s'endormir quelques minutes plus tard, épuisé. La dame tombait de aussi sommeil, elle imposa aux enfants d'aller au lit en vain. Elle a fini par s'assoupir alors je suis restée avec les petits en pyjama, en essayant de retrouver les notions élémentaires de ce que j'avais appris avec Jessica : détourner l'attention des petits monstres afin d'être tranquille... « Construction de cabane ! ». Cris de joie !
Je me suis assoupie sans dormir, il faisait déjà jour quand j'ai eu l'impression de pouvoir m'abandonner au sommeil dans la cabane construite par les enfants pour moi. Mais niet, à ce moment-là David se réveille, ouvre la porte et revient quelques minutes plus tard paniqué : « Sarah, le contrôleur m'est tombé dessus, il m'a dans le pif, il veut mes billets !!! »
Le train s'arrête alors en gare... « Fréjus Saint Raphaël », jamais entendu parler ! David toujours avec sa présence d'esprit au top rebondit : « Mais c'est là qu'on descend, merci Madame de nous avoir accueillis ». J'avais plutôt noté qu'on allait à Nice, mais non, ce sera Fréjus.
Dans le couloir, le contrôleur nous fait signe, puis nous voit en pleine fuite et court soudainement vers nous. David me tire vers l'autre côté puis la sortie, le quai, la gare, le trottoir...
Le train repart... et nous sommes arrivés à destination, une destination qui nous a choisis !!! Plus que l'inverse...
Je ne peux m'empêcher de faire un compliment à David à ce moment-là : « Qu'est-ce que t'es intelligent, tu m'épates ». Je le fais très sérieusement et il semble adorer ça. Mais c'est vrai !!! Le coup de la couette et du cache-cache, je ne m'en remets pas. C'est un cerveau, et moi une cruche, une potiche bonne à se faire choper !
Enfin... au final, nous avons arnaqué la SNCF en duo, mais bon c'est l'œuvre intégrale de David. En tout état de cause, il n'y a pas de quoi pavoiser...
J'ai continué à me laisser porter par son énergie inépuisable :
- On fait quoi David?
- La mer, allons vers la mer... !!!
- Il faut qu'on trouve de quoi survivre, je veux pas redormir dans la rue, tu comprends ?
- T'inquiète... j'ai de quoi...
A croire qu'il a vidé le compte en banque de son père...
- Et puis j'ai une idée ! annonce-t-il, serein.
Il a tout le temps des « idées »...
Et celle-là vaut son pesant d'or... un camping industriel à 5 km de la plage !!!! Il ne s'appelle pas LES FLOTS BLEUS, mais presque...