« I did it »... ou bien « Yes I can » !
Voilà ce que je me dis après cette interminable journée exotique et pourtant inoubliable...
oui je peux supporter une journée entière dédiée à une vie sociale, en vérité un vrai marathon de sociabilité...
oui je peux supporter d'être le centre du monde pendant 12 heures d'affilée...
oui je peux répondre 10 fois aux mêmes questions superficielles sans me lasser : c'était fait avec tellement de gentillesse...
oui je peux apprécier les compliments exagérés, les remerciements pas mérités, les honneurs surtout pas dus à mon humble rang...
oui je peux me goinfrer pendant 12 heures non stop sans me sentir coupable, c'était tellement bon et tellement nouveau...
oui je peux voyager rien qu'en goûtant à une cuisine exotique : aujourd'hui j'ai voyagé en Afrique Noire puis en Afrique du Nord pour zéro euro !
oui je peux ne pas réviser du tout à 15 jours du bac sans une once de culpabilité ou de scrupule !
oui je peux respirer le bonheur d'une famille sans en faire partie et sans aucune jalousie, mais pas sans envie...
Ben oui je peux ! Souvenez-vous, c'était mon grand jour spécial HLM Tower, invitée dans la famille de Tina avec Fatima puis invitée dans la famille de Fatima avec Tina...
J'avais rendez-vous à 14h dans la première puis à 19h dans la deuxième... J'ai été traitée comme une princesse de bout en bout et transportée dans deux ambiances différentes.
Chez Tina, les boubous colorées étaient de rigueur, les doudous chantaient et parlaient fort, les accents étaient ronds et musicaux, ça sentait les épices fortes et profondes, ainsi que les piments puissants qui vont arracher tout le tube digestif !
Chez Fatima, les djellabas blanches étaient de sortie, les youyous frétillaient dans mes oreilles, l'accent était guttural et autoritaire, en contrepartie les épices se faisaient douces, presque sucrées.
Tout un folklore qui doit vous paraître stéréotypé, mes chers lecteurs, mais tellement nouveau et chaleureux pour moi.
Les deux familles m'ont traitée comme si je faisais partie de la leur... Et surtout, les remerciements n'ont pas cessé...
« Allah soit loué de t'avoir mise sur la route de Tina et Fatima... Toutes ces bonnes notes qu'elles ont eues en sport... C'est un miracle ! Tu comprends, on était désespérés, et tu es arrivée !!!! », me lance le père de Fatima.
« J'ai prié les loas, jour et nuit, pour que nos filles s'ouvrent aux autres, et grâce à toi, elles appartiennent à un club de gazelles maintenant ! Elles étaient toutes repliées sur elles-mêmes, et voilà... Grâce à toi ! Alléluiah » m'assure la mère de Tina. Mais de quel club parle-t-elle, de notre club de grosses-moches-parias ?
Nous étions au moins dix à chaque repas... Je me suis demandée si c'était comme ça tous les dimanches...
- TINA : Ben oui frangine...
- FATIMA : Enfin, y'avait un petit plus aujourd'hui, t'étais là...
- TINA : Et puis nos mères avaient quand même sorti les grands plats dans les petits...
- FATIMA : C'est l'inverse Tina...
- TINA : Tu fais ta relou frangine ? Tu joues aux grandes dames...
Une adorable dispute parmi tant d'autres.
Je viens de rentrer, pétrie de chaleur et d'amour. Mais aussi pleine de tristesse... Ce sentiment contradictoire, je commence à le reconnaître... C'est ce feeling de vide après avoir eu le cœur bien rempli... Cette émotion que j'ai ressentie après le départ de David au petit matin après une nuit forcée dans ma chambre il y a quelques mois, mais aussi la même émotion après la fiesta imposée par mes amis il y a une semaine... Je crois que j'aime les gens et ça c'est une révélation pour moi.
Après cette immersion de 12 heures, je dois oublier toutes les histoires dramatiques de difficile intégration qu'on nous assène en permanence à la télé. Ces deux familles respiraient la joie et la sérénité, avec un joli mélange de cultures françaises, africaines et arabes dans le respect de chacune.
Finalement ce n'est pas leur origine qui a freiné historiquement l'intégration de Tina et Fatima au lycée, mais plutôt... leur surpoids... et puis aussi un peu leur verlan de caillera des cités. Et pourtant leurs familles ne parlent pas comme ça. Leur langage c'est sûrement leurs cottes de maille et leurs boucliers... afin de se protéger du monde.
Tina, Fatima, moi... on a vécu le même parcours au lycée. Et pourtant on est de races différentes... Hé, oui, ce n'est pas un critère dans notre génération...
Les jeunes entre eux ont naturellement oublié les races, à l'inverse de certains de leurs parents ou grands-parents... Ce qui reste intact c'est le racisme « anti-gros » et « anti-moche » qui ne pardonne pas.
C'est ça le néo-racisme !
PS : Ah ben je viens de faire une dissert' de philo en fait, ma conscience est sauve !