Alors oui, c'était un tribunal, mais pas forcément les juges que j'attendais...
J'arrive à l'heure. Le Proviseur vient me chercher. Dans son bureau une inconnue est assise dos à la porte d'entrée et ne daigne pas se retourner à mon arrivée...
Je m'assieds. Et je tourne mon visage vers l'inconnue...
Pas si inconnue.
« Tu me dis pas bonjour Sarah ? », me lance Rondin, mon assistante sociale avec sarcasme. Elle n'est pas contente, du tout, du tout, du tout...
Et je rougis comme si j'avais commis un acte irréparable. Ah bah oui, j'en ai commis un.
- RONDIN : Tu te demandes ce que je fais là ?
- MOI : Non.
- RONDIN : Ah, tu t'attendais à me voir alors...
- MOI : Oui, enfin pas que vous, mais oui...
- RONDIN : Il faut bien que je vienne te chercher ici, parce que chez toi ça serait difficile...
Je ne sais pas ce qu'elle sous-entend, alors je me tais, toute penaude.
- RONDIN : Tu n'as rien à me dire ?
- MOI : Je crois que je sais pas par où commencer...
- RONDIN : D'abord tes résultats... Le proviseur vient de me dire que les professeurs attendaient plus de toi... Ensuite, j'attends toujours que tu m'envoies ton dernier bulletin...
- MOI : Oui... je sais... je suis désolée...
Je commence à me demander si elle est pas venue que pour ça. Ça en serait, un soulagement !
- RONDIN : J'imagine que t'as pas eu le temps de travailler... Ça c'est sûr... T'es tout sauf à tes révisions, hein...
- MOI : J'ai bien révisé pendant les vacances...
- RONDIN : Ah bah ça, ça m'étonnerait...
- LE PROVISEUR : Je vais vous laisser discuter quelques instants entre vous, j'ai des choses à voir avec ma secrétaire.
Il s'éclipse. Rondin hausse le ton.
- RONDIN : Je suis très déçue Sarah... Je sais tout, absolument tout, la Police m'a appelée, je suis abasourdie... Je croyais être enfin tranquille avec toi... mais non. Tu caches une veille dame malade chez toi pendant deux mois. Tu me fais croire que ta famille d'accueil va bien alors que tout le monde est parti... Le Monsieur de la famille me passe un appel totalement bidon alors qu'il est derrière les barreaux...
- MOI : Tiens parlons-en, est-ce que c'est normal que j'atterrisse dans une famille d'accueil comme ça ? Est-ce qu'elles sont toutes comme ça vos familles d'accueil ?
- RONDIN : Ne joue pas aux sarcasmes avec moi, Sarah, tu détournes la conversation. Pourquoi as-tu laissé la situation pourrir sans me prévenir ?
- MOI : J'ai un peu essayé... mais le destin en a décidé autrement.
- RONDIN : N'importe quoi !
- MOI : Ben oui c'est n'importe quoi de me mettre dans une famille d'accueil de tarés comme ça !
- RONDIN : Faut dire que t'en as éclusé une bonne dizaine ! Mais c'est vrai que c'est pas une raison.
- MOI : Comme vous me donnez pas de famille correcte, faut bien que je me la recrée, cette famille.
- RONDIN : Avec une vieille dame malade ?
- MOI : Elle est pas si malade ! Et c'est pas parce qu'elle est vieille qu'elle peut pas être ma famille...
- RONDIN : Tu mélanges tout Sarah...
- MOI : J'essaie de compenser le travail que vous faites pas, vous et votre aide sociale...
- RONDIN : C'est inacceptable que tu aies laissé cette famille dans l'inquiétude pendant des mois...
- MOI : Ils en avaient plus rien à faire de leur vieille Mamie ! Alors je l'ai récupérée. C'est du recyclage. Toute façon, c'est la seule qui me comprend et je suis la seule à bien vouloir m'occuper d'elle... Vous trouvez ça normal de la laisser crever toute seule ?
- RONDIN : C'est pas ton travail, ton travail c'est d'avoir ton bac, et d'éviter de passer ta vie au commissariat... Mais a priori c'est l'inverse qui t'intéresse.
Le Proviseur revient dans le bureau en plein milieu de la conversation :
- MOI : C'est pas vrai, j'essaie de tout concilier...
- RONDIN : Pour preuve, tes résultats scolaires bien sûr. Et tes notes au bac de français hein ? T'as fait juste le minimum hein... C'est ce que tu m'as dit. Mais t'as eu la moyenne au moins ?
Silence gêné de ma part. Je lui ai menti. Et le Proviseur qui a écouté d'une oreille, fronce les sourcils. Évidemment, lui sait combien j'ai eu l'année dernière et ne comprend pas... Rondin sent un micmac :
- RONDIN : Qu'est-ce qui se passe là ? Qu'est-ce qu'on me cache ? C'est encore pire ?
- LE PROVISEUR : Pourquoi vous lui avez rien dit, Sarah ?
- RONDIN : Qu'est-ce qu'on m'a pas dit ? Ouh je sens que je vais pas aimer ça... Tu m'as baladée depuis deux ans, Sarah, j'ai vraiment l'impression ! Raison de plus pour te ramener dès ce soir au foyer et tu n'en bougeras plus jusqu'à tes 18 ans !
- LE PROVISEUR : Sarah ?
- MOI : Oui je vous ai un peu menti pour le bac de français... Mais j'en peux plus de toute cette pression que vous me mettez, monsieur le Proviseur. Les profs me regardent bizarrement depuis le début de ma Terminale... Je sais pas comment j'ai fait, et je pense pas que je pourrais le refaire. C'est un coup de pot... et puis c'est tout ! Faut pas m'en demander plus...
- LE PROVISEUR : Un coup de pot ? A l'oral et à l'écrit ? Vous vous moquez de moi Sarah...
- RONDIN : Un coup de pot ??? Mais de quoi on parle...
- LE PROVISEUR : J'ai jamais vu des notes pareilles en trente ans de carrière...
Rondin déglutit, se frotte le visage, elle va faire une crise cardiaque...
- RONDIN : Qu'est-ce que vous êtes en train de me dire là ? Qu'est-ce qui se passe ici ?
- LE PROVISEUR : C'est fou ça, Sarah... Vous devriez être fière de vous...
- RONDIN : Je veux savoir, maintenant, sinon je vais faire une syncope.
Avec un petit sourire fier, le Proviseur lui donne mes notes de français et de TPE... Rondin se décompose, s'accroche au fauteuil, lève les yeux au ciel, je ne l'ai jamais vue comme ça... Elle tente de masquer son désarroi avec sa main... Elle se tourne vers moi puis vers lui puis vers moi de nouveau... Elle se met à tousser bruyamment... et sort de la pièce. Je vous l'avais dit, elle n'était pas prête à entendre ces notes...
Pendant ce laps de temps où nous nous retrouvons seuls, le Proviseur me fixe et me parle doucement :
- LE PROVISEUR : Je commence à mieux vous comprendre Sarah...
- MOI : Elle vous a tout dit ?
- LE PROVISEUR : Ah non elle ne m'a rien dit, votre vie privée ne me regarde pas, ce sont vos résultats qui comptent... Enfin... Je vous promets de ne plus vous en parler. D'accord ? Vous faites comme vous pouvez, encore mieux, comme vous voulez d'accord ?
- MOI : Oui...
Je ne vois pas trop où il veut en venir non plus. Est-ce qu'il se sentirait coupable de m'avoir trop mis la pression ??? Rondin revient, elle est dans un état... Elle s'est ébouriffé les cheveux mais semble un peu plus calme :
- RONDIN : Bon... laissez-moi reprendre mes esprits. Ça change beaucoup de choses... J'en reviens pas... Mais je pense que c'est impossible qu'un Proviseur me fasse une blague...
- LE PROVISEUR : Je vous confirme, je n'ai aucun sens de l'humour...
- RONDIN : Raison de plus pour ne plus te lâcher jusqu'à fin juin, je vais être derrière toi tout le temps et tous les jours...
- LE PROVISEUR : Ce n'est peut-être pas la meilleure solution...
- RONDIN : Quand on a de l'or entre les doigts, on le laisse pas filer. Je viens de tomber de mon fauteuil, ok... mais je te laisserai pas gâcher tout ça, Sarah, tout ça parce que tu te sens l'âme d'un Saint-Bernard...
Et voilà... Comment tout se termine. Je la retrouve à 18 heures à l'appartement, et je boucle mon paquetage pour toujours. Elle va m'enfermer à double tour dans son foyer pendant deux mois et me mettre dans le lycée juste à côté...
Adieu lycée, adieu quartier.
Mais c'est peut-être mieux comme ça... Qui s'en souciera ?