En sortant des toilettes, je suis tombée sur le Vieux qui s'est décomposé en me voyant : « Mais qu'est-ce qui t'arrive ? »

Je n'ose même pas aller me voir dans un miroir.

L'examinateur va faire dans son froc en me voyant. C'est quitte ou double, il me mettra peut-être une bonne note pour évacuer vite fait l'entretien avec la zombie que je suis !

J'ai déjà oublié les 2 textes révisés entre 9h et 10h.
J'ai des plaques sur le visage.
Je suis trempée sous les bras.

Texto de David : « Tu vas cartonner, c'est ta matière forte ». En gros ce qu'il veut dire c'est que c'est la seule matière où je peux cartonner. Ça signifie que mon bac se joue maintenant et pas l'année prochaine. Ça m'aide beaucoup tout ça, hum-hum...

Tiens l'enjeu revient sur le devant de la scène comme une claque dans la gueule.

Avec mes plaques, j'ai une tronche fracassée.

Pipi x2
2 textes révisés.
J'ai des plaques rouges dans le cou, on dirait que Dracula vient de me faire un bisou vorace.

Je me suis endormie sans stress en me disant qu'il me restait toute cette matinée pour réviser. Mais maintenant que c'est le matin, que je dois réviser, que ça se rapproche, je suis en panique.

Ce n'est pas l'enjeu. Mais c'est le trac d'être observée par quelqu'un d'autre et décortiquée...

Ça y est j'ai déjà envie de faire pipi...c'est pas fini.

Bon ça m'a pas pris trois heures. 1H30 à tout casser. Je devais attribuer les décors aux actes et aux chansons avec le conducteur entre mes mains. Un gros travail de concentration : il faut éviter que les scènes extérieures se récupèrent un décor de crypte sombre !

Mais les geeks qui n'étaient pas au complet (oral du bac oblige) ont eu besoin de mon aide pour faire des tests « lumière ». Ils sont beaucoup plus stressés que durant la saison. Mais je les comprends, le gros de leur travail aura lieu le soir du spectacle et ils n'ont pas le droit à l'erreur.

Moi j'ai fini, mes décors affreux seront descendus en flamme, certes, mais je n'aurai rien à faire le soir du spectacle. A part y assister !

Bref, ça m'a bien pris une heure de plus à faire la potiche sous les sunlights, pendant que Quasimodo, Phoebus et Frollo s'égosillaient sur Belle...

Jusqu'à ce que ce soit au tour d'Esmeralda de répéter... enfin plutôt Alyssa ! Alors qu'elle monte dans les aigus, un bruit étrange vient de la salle ou bien des haut-parleurs... On dirait que quelqu'un est en train d'imiter un loup-garou.

Sûrement un coup des geeks pour détendre l'atmosphère, je vais les voir juste derrière le rideau

Non, ils sont aussi perplexes que tout le monde. Afin de couvrir ce hurlement étrange, Alyssa pousse au maximum sa voix stridente. Mais les hurlements redoublent de puissance et Alyssa qui n'aime pas qu'on fasse plus de bruit qu'elle joue à fond la carte de la surenchère...

On dirait quand même une blague comme si quelqu'un s'amusait à couvrir sa voix. Ça n'amuse pas du tout le prof de chant en tout cas qui vient sermonner les pauvres geeks non responsables cette fois-ci.

Les geeks coupent tous les micros, même celui d'Alyssa qui continue à hurler dans le vide désespérément. Le son du loup-garou s'atténue mais on commence à distinguer d'où vient ce bruit étrange... du milieu des gradins...

Et je comprends enfin : c'est mon Chien qui est en train de hurler à la mort suite à la performance d'Alyssa. J'avais presque oublié mon vieux cabot ! Et la clé de l'affaire est juste à côté de lui sur un siège : quelqu'un a enlevé son micro-casque et l'a abandonné juste à côté de mon Chien. Et justement Frollo vient le récupérer : « Oups j'ai oublié mon matériel pendant que je caressais le Chien, mais j'ai mis les voiles vite fait, qu'est-ce qu'il pue ! Il est à qui ? »

J'ai haussé les épaules et fait mine de ne pas savoir... Je crois que personne ne m'a vraiment vue arriver avec lui en fait... il était caché par les rangées de sièges. C'est moi que tout le monde regardait bizarrement, ce qui est tout à fait habituel !!!

Mon pauvre Chien, il ne semble pas avoir apprécié le talent vocal d'Alyssa. Décidément c'est bien mon Chien.

J'ai attendu la fin de l'atelier à 19h que tout le monde soit parti pour sortir mon toutou de l'ombre. Les commentaires allaient bon train parmi les stars sur le départ :
- Mais c'était qui cette voix ?
- On aurait dit un cri animal...
- Ou un problème de micro...
- Plutôt une sale blague de Fleur de Lys à Esmeralda !
Drôle ! D'autant plus qu'Alyssa se plaignait en partant : « Cette saleté technique m'a cassé la voix ». Tu parles ! Elle a pas fait dans la finesse...

Je suis arrivée vers 19h10 dans le hall désert du lycée où les plasticiens ont construit l'exposition pendant que je faisais doublure lumière et cache-toutou.

Bingo ! J'avais raison : je ne vois que les 8 œuvres du Tatoué, les miennes ont disparu ! Il a dû les foutre à la poubelle... Pas le temps de tout changer ou de fouiner, je dois aller réviser mon oral, la convocation est à 13h demain...

Mon pauvre cabot est épuisé, ce n'était certainement pas sa place aujourd'hui, je dois trouver une autre solution.

J'ai emmené un invité surprise avec moi, le Chien !!! Quoi ? Je n'ai jamais lu dans le règlement intérieur que les animaux sont interdits ! Et puis là c'est un cas particulier, un cas d'urgence. De toute façon le lycée est presque vide. Les seules âmes qui vivent sont les chanteurs de cette daube qui aura lieu le 1er juillet et la ruche autour.

Évidemment quand j'arrive dans l'auditorium avec quelques minutes de retard sur l'heure de rendez-vous, j'ai l'impression que tout le monde me regarde bizarrement. Le Chien n'a pas l'air trop mal à l'aise. Faut dire qu'il est un peu sonné depuis la visite chez le véto. Il a vraiment traîné sur le trajet. Je sais que le vétérinaire a recommandé du repos, mais bon, il vaut mieux le traîner ici que de le laisser là-bas.

De toute façon, les cours sont finis et mon Chien ne prend pas beaucoup de place. Alors il y a de la tolérance dans l'air...

Il y a bien trente personnes dans l'auditorium :
- les stars du spectacle, qui se comportent comme telles...
- les geeks, le prof de musique et la prof d'arts plastoc.
- les élèves du cours d'arts plastoc... enfin ceux dont les œuvres ont été sélectionnées pour l'exposition (cf posts du 15 et 22 mai) qui aura lieu le même jour que le spectacle. Les autres ne sont pas venus... Évidemment, même en art, l'égoïsme prime.

Je me retrouve dans une position difficile et unique : je dois idéalement être à deux endroits différents.

Je dois aider à la finalisation des décors en tant que décoratrice artistique en chef avec ma grande équipe de zéro personne pour tout faire... Et les décors du spectacle tiennent vraiment à cœur de la prof que j'aime beaucoup et qui quitte le lycée cette année.

Et je dois être dans le groupe d'arts plastoc pour défendre mes 9 œuvres sélectionnées contre les requins. Le Tatoué n'a pas du tout digéré que j'ai plus d'œuvres sélectionnées que lui : 9 contre 8... Comme le but de la réunion est de créer une histoire à partir des 25 œuvres sélectionnées pour l'exposition et que chacun va défendre ses bébés, si je ne suis pas là, mes œuvres vont être reléguées au rang de figurants tandis que les œuvres du Tatoué vont se retrouver au premier plan...

Argh ! J'en parle avec ma prof préférée :
- Comment je fais, madame, pour être à deux endroits à la fois ?
- Ah oui... suis-je bête ! Je n'avais pas pensé à ça, j'avais oublié que c'était la même personne...
Enfin je dirais plutôt qu'elle n'a jamais remarqué que c'était la même personne !!! Déjà qu'elle se trompe sans cesse sur mon prénom. C'est sûrement ça !
- Bon l'urgence est aux décors sachant que vous êtes toute seule... ne vous inquiétez pas, je suis sûre que vos camarades d'arts plastiques prendront bien soin de votre œuvre et sauront la mettre en valeur au même titre que la leur.
Elle est bien naïve de penser que son cours, cette saison, a été peuplé d'âmes généreuses. Et elle a aussi oublié que j'avais plus d'UN chef d'œuvre en lice...
- Pfff en plus j'ai plein de trucs sélectionnés...
- Ah bon ? Pourtant je croyais avoir été équitable et sélectionné un travail par personne...
Voilà qu'elle a oublié qu'elle a surtout servi deux personnes, le Tatoué et moi. Et le jour de la révélation, je me suis fait traiter de « chouchoute » ! Elle doit imaginer que je suis plein de personnes différentes à la fois, ce sont tous les prénoms qu'elle m'a donnés au fil du temps.

Elle ne répond pas à ma dernière remarque et part sur autre chose. Bref je me retrouve à consolider mes toits de Paris et mes gargouilles afin qu'ils puissent être maniés facilement le jour du spectacle. Aucun intérêt.

Pendant que le Tatoué est sûrement en train de massacrer mes croûtes...

Je suis convoquée cet après-midi pour le spectacle de fin d'année pour finaliser les décors. Je suis également convoquée pour contribuer à la mise en valeur des œuvres pour le gala artistique. La prof d'arts plastoc qui gère l'un et l'autre vient de se réveiller !!! Est-elle au courant que les oraux ne sont pas finis ? Elle doit se caler sur le bac des Terminales...

De toute façon cet oral ne m'inspire plus, je vais aller m'aérer le cerveau au lycée ! Tiens je pensais pas qu'un jour je dirais ça !

David m'envoie un SMS : « Oral planté, suis désespéré, suis qu'une grosse merde »

« Nawak Tu vas te rattraper en maths & physique l'année prochaine, je crois en toi ! »

« Exactement ce que j'attendais pour me sentir un peu mieux »

En attendant, moi ça ne me rassure pas du tout. Et en plus cette histoire avec le Chien m'a ébranlée. Ce bac a soudainement moins d'enjeu.

Bien sûr, ma plus fidèle lectrice depuis le début a compris...

Rendez-vous chez le vétérinaire à 14h, ouf ! La Mamie est avec moi et avec quelques sous en poche. Le Chien miaule sans arrêt. Peut-être parce qu'il n'est pas content d'être là ! Pauvre cabot !

Le véto nous prend avec une demi-heure de retard et s'étonne de nous revoir : « Mais je vous reconnais ! C'est la très jeune fille avec son vieux toutou !» sort-il avec sa gouaille toute joyeuse. Il ne m'a pas oubliée (cf post du 11 mai).
- Que lui arrive-t-il ?
- Il continue à miauler.

Le véto le palpe puis passe son scanner manuel sur son ventre, il tique :
- En effet, ça ne s'est pas arrangé... c'est bizarre... Vous avez une explication ?
- Oui je sais ce qu'il lui est arrivé.
Mais je n'ose pas en dire plus. Le véto me regarde interloqué, et la Mamie qui sait peu de choses de l'histoire est aussi dans l'attente, je ne peux plus reculer :
- Quelqu'un lui a fait du mal.

Cette affirmation projette la salle dans un sombre silence. La Mamie met une main devant sa bouche pour cacher son effroi. Tout le monde attend la suite. Mais je n'arrive pas en dire plus. Le véto m'encourage :
- Vous savez, la loi punit les maltraitances envers les animaux.
Je ressens un instant un espoir qui s'éteint immédiatement quand je pense aux conséquences que ça pourrait avoir. Le véto continue son interrogatoire en douceur avec des affirmations plutôt que des questions directes :
- C'est peut-être ces maltraitances qui ont cassé ses côtes avant votre première visite.
Je hausse les épaules mais je pense qu'il a raison.
- Vous pouvez porter plainte et une association peut vous aider dans cette démarche.
- Je peux pas faire ça...
Je m'imagine un instant que le véto pense que c'est moi qui le bats et je peux pas m'empêcher de me défendre :
- C'est pas moi !
- Généralement les responsables amènent rarement l'animal chez le vétérinaire après lui avoir fait du mal...
Le Chien miaule encore et encore, le vétérinaire lui fait une piqure pour le calmer et m'explique qu'il va ponctionner une poche de sang, berk. Pauvre toutou !

En se calmant enfin, mon Chien me regarde avec ses grands yeux, puis jette un œil à la Mamie avant de revenir vers moi. Et il ne décolle plus ses yeux de moi. Il est comme immobile et je pousse un cri d'angoisse : « Il est mort !!!!!!! »

« Non, il va s'endormir un peu. Ça va lui faire du bien. ». C'est vrai que j'avais déjà remarqué qu'il dormait les yeux ouverts.

Quelques minutes plus tard, le véto reprend la parole, avec une pointe d'inquiétude :
- Vous savez, il est très vieux ce chien, si ça continue, il ne résistera pas.
- Je le défendrai...
La Mamie prend ma main pour me soutenir. Ça me fait tout drôle.

Le vétérinaire me recommande du repos, de l'inactivité, quelques médicaments... Pour moi ? Parce que j'en aurais bien besoin...

Mais ce qui m'a beaucoup touchée, c'est qu'il ne m'a pas fait payer, ni la consultation, ni les médicaments. Et m'a dit de revenir dans quinze jours.

« Prenez bien soin de lui ». Avant notre départ, il va annoncer à son assistante que toutes les consultations à venir faites à mon nom seront gratuites et prioritaires.

Je prends conscience de ma responsabilité, et de la gravité de la situation.

Sur le retour, la Mamie ne me pose pas de question mais me rassure : « Tu me parleras quand tu le souhaiteras. Et je serai là quand tu as besoin que quelqu'un garde ton chien ».

J'ai contenu la tempête lacrymale qui se préparait de mon côté. Mais mon silence parlait pour moi.

Je ne peux pas accepter que ce vieux chien ne meure pas simplement d'une mort naturelle. A un moment il m'a choisie. Je lui dois au moins ça à ce vieux cabot, tout moisi, si puant, si moche et tellement touchant.

La Mamie a eu pitié de moi, elle m'accompagne demain. Si j'arrive à avoir un rendez-vous de dernière minute...

Je sais que je fais beaucoup de mystères mais c'est dur d'écrire et de décrire quelque chose d'aussi grave que ça. Et j'étais très gênée de raconter ça à la Mamie. J'ai honte.

Je dois me dire que je n'y suis pour rien... mais je crois que je suis responsable. C'est un retour de bâtons et le pire qui soit.