LUNDI 22 OCTOBRE 13h30 : RITUEL DE GRAND-MERE, DEJA

Évidemment j'y suis allée à reculons. J'ai même à un moment décidé d'être malade. Mais j'ai déjà utilisé cette excuse l'année dernière, et un peu trop, et je me suis fait tirer les oreilles par mon assistante sociale. Et puis je me suis dit que si je réussissais à surmonter ça, je serais peut-être récompensée par ma bonne étoile? Genre si la journée se termine sans encombre et ben ça pourrait vouloir dire que j'aurai une amie avant la fin de l'année! C''est pas mal ça comme deal non?

Bon ben ça a pas bien commencé. David est un glaçon. Le filin déjà fragile qui nous liait est rompu. Je le regarde, il le sait mais reste de marbre. J'essaie de lui envoyer des messages télépathiques, des excuses à travers les yeux, des ondes de ma détresse. Il a dû me prendre pour une folle tellement je l'ai maté. Puis à force j'ai abandonné. J'arriverai pas à lui dire avec des mots de toute façon. Et puis finalement ce retour au silence entre nous deux ne me déplait pas, pas de stress, pas de tension, une bulle d'indifférence, ça me plait c'est mon rayon.

RAS sur les Pestes en ce moment, Ashley a l'air soucieuse et Alyssa n'a jamais autant fait sa diva depuis qu'elle a perdu les élections. Et je me demande s'il n'y a pas un peu d'eau dans le gaz.

A la cantine, le Monstre a hoché sa tête de dégoût sur mes canettes de coca puis m'a regardée avec désapprobation, sans sortir un mot. D'habitude plus loquace. Oui bon c'est vrai j'aime boire mon coca en mangeant, ça fait passer la bouffe dégueu plus facilement. Comme toute bonne cantine de lycée, on n'a pas droit au coca à l'achat, il faut aller les chercher à la Kfèt. Alors c'est mon rituel, je vais les chercher avant de passer mon plateau : avant j'en prenais une, puis en ce moment j'aime les deux. Et puis j'ai l'impression que je mange moins, que ça me coupe un peu l'appétit. Youpi. Une pendant le repas et une en dessert! Mais ça encombre mon plateau, cf mes accidents précédents de canettes qui ont provoqué quelques éclaboussements notoires, dont un qui est toujours visible dans la rainure frontale de la caisse. J'aurais au moins laissé ma trace éternelle là dans cette rainure médiane... sauf que si la caisse va en réparation, elle doit s'ouvrir à ce niveau là. Et là adieu à mon œuvre au jus de lentilles... ou bien était-ce du jus de cassoulet?

Mon rituel est ensuite d'écrire quelques lignes avant les cours dans mon cahier pré-blog : parfois à la Kfèt, parfois dans la classe avant le retour du troupeau. La Kfèt est minuscule, c'est plus un comptoir intérieur / extérieur qui a quelques tables rondes et des tabourets surélevés. Quand il commence à faire frisquet, je reste à l'intérieur, mais j'étais plus dehors jusqu'à maintenant. La dame a des canettes bien fraîches, des jus de fruits, et surtout une machine à espresso. Je suis tellement une habituée qu'elle me reconnaît. Elle m'a dit l'autre jour qu'elle vérifiait ses stocks pour moi. J'étais presque vexée qu'elle me repère grâce à ma consommation de bulles caféinées!! Et je dois dire que je me sens lâchement protégée près de ce comptoir, il y a toujours des profs qui traînent et qui aiment leur petit café ou chocolat chaud. C'est comme un univers d'adultes ici : la liberté de choisir ce qu'on a envie de manger et de boire à un prix défiant toute concurrence à Paris, et la fréquentation calme! C'est pas un endroit «in » du tout dans ce lycée, c'est parfait pour moi. La dame, connue de tous et proche de la retraite, est aimable, accueillante. Ça nous change du Monstre et de la cantoche où on est infantilisé! Mais la Kfèt attire les foules à la pause du matin où elle vend des viennoiseries en nombre très limité (par acquis de conscience de l'Éducation Nationale pour limiter l'obésité – ben ça sert à rien si à la maison on se goinfre) : c'est un moment où je ne vais plus. Ok je cracherais pas sur un bon pain au chocolat avec double barre ou bien un délicieux chausson aux pommes tout collant au dessus mais je refuse de m'abaisser à cette guerre à la gourmandise où je partirais de toute façon perdante. Le seul défaut de cette Kfèt c'est la taille des tabourets, ils sont faits pour les gens normaux, enfin les gens minces. Et moi je ne peux y poser qu'une fesse. Alors quand je suis en phase « élargissement fessier à cause d'incontrôlables besoins alimentaires », j'échoue dans la classe en bonne épave après la cantoche, j'ai pas le choix.

Ben voilà ça sonne, il est l'heure de retourner au charbon.