A l'aller, j'ai évité le pire, mais au retour j'ai couru et j'ai glissé sur la neige, j'ai les fesses trempées. J'étais trop impatiente d'écrire tout ça. Je me suis précipitée sur mon blog en rentrant. Il fallait que ça sorte...

J'avais une petite appréhension avant d'arriver chez lui. Une petite boule. Mais quand il m'a ouvert la porte de son appartement familial, j'ai été rassurée. Non pas par ce que je voyais autour de moi, mais par ses yeux qui respiraient la tristesse et l'absence d'agressivité.

En revanche, le reste, c'est un cauchemar. Un appartement cossu oui, mais laissé à l'abandon. Le ménage n'a pas été fait depuis longtemps, poussière, vêtements qui trainent, cendriers pleins, cartons de pizzas livrées, fumée au dessus de ma tête.

Bien sûr ça sent la beuh. Et la cigarette, et le renfermé. Je reste dans l'entrée et je sors les affaires de lycéé que j'avais récupérées pour lui. Et j'entends du bruit qui vient d'une pièce dont la porte est entrouverte, puis du verre cassé. David va vérifier, et j'entrevois le salon dans un état lamentable avec des bouteilles de bière partout et un homme affalé sur le canapé, en train de dormir, ou rêver, ou dessoûler. Une vision d'horreur. David ramasse les bouts de verre cassé, et je l'observe discrètement, paralysée. Mais David se coupe et je me décide à l'aider : je rentre dans la pièce et je lis la honte sur son visage. Il détourne les yeux.

J'ai un sac plastique dans ma sacoche et je lui tend pour qu'il dépose le verre dedans. Puis je lui propose de lui mettre un pansement. Il m'emmène à la salle de bains, jonchée de cadavres de gel douche plus ou moins vides. Je désinfecte et lui pose le pansement. Et je lis la détresse dans ses yeux. Mais il ne me parle pas, il a capitulé avec moi, je le sens.

Moi je n'ai pas capitulé. Je lui demande de me donner son adresse mail. Je lui promets de lui envoyer un message ce week-end. Quelques secondes de répit et d'espoir dans ses yeux.

Puis de retour dans le hall, ses yeux fixent un cendrier... et un joint à peine entamé. Et je sens qu'il a hâte de me mettre dehors. Je sais très bien pourquoi, ce joint l'appelle et est plus fort que moi. Il était sûrement pété cette nuit, il a dormi ce matin, et là à 14h45 il va se noyer de nouveau dans les vapeurs de l'herbe. Quand je vois ça, je me dis que ce cannabis n'est pas pour moi. C'est pas aussi cool que ça en a l'air et les motivations de David sont terribles : sa mère est morte autour de Noël, son père s'enfonce dans l'alcool et David doit faire face à la perte de l'une et l'auto-destruction de l'autre. L'herbe une béquille? Un antidépresseur?

Je suis partie désemparée, avec l'envie de rester. Il m'a presque claqué la porte au nez juste après m'avoir remerciée. Je suis restée quelques secondes derrière la porte et j'ai entendu le bruit d'un briquet, de sa inspiration profonde... Il était temps que je disparaisse...

Écrire tout ça m'aide, moi, mais ne l'aide pas, lui. Je vais tout déballer à un conseiller de DROGUE-INFO-SERVICE. Je sais pas quoi faire pour lui, c'est trop gros pour moi.

Pour la première fois de ma vie, je trouve quelqu'un de mon entourage que je n'envie pas du tout. Sa vie est bien pire que la mienne. Il a perdu le sens de sa vie, et moi je trouve un nouveau sens à la mienne.

J'ai TRES mal dormi. Même si David n'est plus du tout un ami, je m'inquiète.

Ah... il m'a écrit un SMS cette nuit... à 5h12...mmmh il doit avoir la patate.

Alors voyons ce qu'il dit : « Merci oui j'ai besoin de certains trucs que tu as, dis-moi quand on peut se retrouver? »

« Je peux te les rapporter vers 14h30 »
« Ok voici mon adresse »

Mais comment je me suis retrouvée dans ce piège?? Je ne voulais pas le faire venir chez moi, certes, mais j'aurais pu le retrouver dans la rue!!! Aller chez lui berk...

Ben je verrai comme ça comment il vit, et comment il va.

Toujours rien. Je m'imagine déjà aller à son enterrement.

Ça fait deux heures que je fais des recherches sur le cannabis. Les tremblements et les nausées, c'est complètement ça, à haute dose. Il est accro. Et si j'appelais DROGUE-INFO-SERVICE? Ils me diraient quoi faire... parce que là je suis perdue... et sur le site ça part dans tous les sens...

Je m'inquiète pour lui. Même si notre histoire d'amitié est finie. C'est un être humain, malade. Son absence de réponse me ronge le sang. Allez savoir s'il s'est pas effondré dans le caniveau... Il est peut-être dans le coma???? Ou mort????????

Je renvoie un SMS :
« Suis inquiète, dis moi que ça va »

Dix minutes avant la fin, David est venu chercher ses affaires. Mais à la sonnerie j'ai réalisé qu'il avait oublié des choses par terre et son agenda aussi sur sa chaise. Il était tellement vaseux le pauvre...

J'ai pris pitié. Je lui ai envoyé un SMS « t'as oublié des choses, t'en as besoin ce we? »
Pas de réponse...

David a failli vomir en plein cours... mais c'est le couloir qui a pris. Et les Pestes ont hurlé de dégoût puis se sont moquées : « le porc » , « ça va puer le mort dans la classe », « à l'abattoir les bêtes malades ». Outrée, je me suis sentie obligée d'intervenir : « vos gueules! »

Ashley s'est retournée : « Pour qui tu te prends, la grosse? »

J'ai failli répondre, mais toute la classe a entendu sa remarque et a ricané... et même le prof, qui l'a envoyée chez le Proviseur! Alyssa avait un peu honte... hey serait-elle en train de comprendre que son Toutou Ashley n'est pas à son niveau? Et comme elle vise haut...mmmh intéressant.

David à la cantine avait l'air beaucoup plus détendu. J'ai même eu l'impression qu'il draguait une fille à un moment. Mais en fin de compte elle a pas eu l'air d'apprécier ce qu'il lui disait car elle lui a renversé un verre d'eau sur la tête.

Il est parti vexé. Je ne le reconnais tellement pas, c'est le même corps avec un autre cerveau. Mais comment a-t-il pu cacher cette facette aussi longtemps? Et au fond de moi je garde l'espoir que cette facette n'est que le produit de l'artifice et des substances.

David est vraiment bizarre aujourd'hui. Il est arrivé joyeux, puis deux heures plus tard, il est agité, il me jette un œil noir de temps en temps, et regarde sans cesse partout autour de lui. Il arrive pas à écrire, il a la main qui tremble. Trente minutes avant la fin du cours, il se barre.

Est-ce que le « gentil » cannabis est capable de faire tout ça?

Pouh, j'ai compris de quoi mes geeks parlaient à table.

Lors de l'atelier, j'étais encore seule, pas d'Alyssa. Et la prof était, une fois n'est pas coutume, de fort mauvaise humeur.

J'entendais de l'autre côté du rideau qu'ils devaient faire de nouveaux essais, pour ré-attribuer les rôles suite à l'arrivée d'un talent surprise. Puis on entend une voix inconnue qui nous paralyse tous. D'abord parce que la voix est très belle, puis parce que je reconnais ce souffle...

La prof lève les yeux au ciel et fait une remarque : « pourquoi toujours courir après la lumière? ». Les geeks se regardent entre eux et pouffent de rire. Et moi je ne peux m'empêcher de regarder la chanteuse derrière le rideau!

La garce, c'est Alyssa! Tout le monde l'applaudit, et je vois dans la salle quelques jalousies pointer le bout de leur nez. Et la salle se met à rire. Je fronce les sourcils, Alyssa ne comprend pas, puis se retourne, me voit et finit par rire de mépris en association avec tous les autres.

Et oui! Dans mon espionnage, je n'ai pas été très discrète, car j'ai glissé ma tête dans l'interstice du milieu du rideau, et puis ma main portant le pinceau gluant et suintant la colle est visible de tous. Une vraie intruse : la petite main parmi les stars. Et je n'ai pas fait gaffe dans ma furie curieuse!!

Je retourne me cacher, pleine de colère! Bien sûr, ça couvait! La pétasse a réussi a commuer sa peine en chanson, et transformer le bagne en lumière! Toutes les occasions sont bonnes! Faisant le désespoir de la prof et la risée des geeks.

N'empêche qu'elle a une belle voix, très particulière et qu'elle va briller sans limite.

Je suis dégoûtée, et presque jalouse. Cette fille a toujours tout pour réussir et se sort de toutes les situations. Moi je connais une fille qui n'a aucun atout d'une part et qui a l'art de se fourrer dans tous les problèmes possibles d'autre part. Cet aimant à loose s'appelle Sarah. L'égalité c'est vraiment une fichue théorie...

Deux jours de légumes et je suis une loque. Alors aujourd'hui à midi, j'ai rattrapé le retard sans omettre les deux canettes, bien sûr!

Et à la caisse, la terrifiante Paola a ri. Mon plateau deviendrait le centre de toutes ses attentions???...
« Ah ben...c'est mieux! N'abandonne pas non plus »

Encore raison cette Paola! C'est beaucoup mieux un beau plateau plein de saveurs. C'est pas les légumes en général qu'il faut remettre en cause... c'est plutôt ceux de la cantine qui sont ultra fades!

Mais c'est bizarre comme ce terme « abandonner » revient sans cesse dans son vocabulaire. Comme si elle avait « abandonné » et qu'elle me souhaitait une autre destinée. Paola, depuis le début, m'intrigue beaucoup.

A table j'ai retrouvé mes geeks et David mangeait seul. C'est comme si la situation s'était inversée. Avant il avait quelques connaissances le midi, qu'il n'a plus a priori. Et moi je me suis fait adopter par mes collègues de galère.

Voici un petit extrait de leurs conversations :
- Je comprends rien à ces logiciels de son et de lumière.
- On s'en fout, si leur voix est nulle c'est eux qui auront la honte!
- Ouais on va saboter le spectacle... (ricanements)
- Que des prétentieux et des castafiores!
- Et l'autre qui s'incruste...
- Celle-là elle a réussi son coup!

Ils m'amusent. Je me demande bien de quoi ils parlaient à la fin, j'ai pas osé m'en mêler.