Je suis venue, j'ai couru, et je n'ai pas vaincu... enfin c'est relatif. Voilà ce qui s'est passé à mon premier jogging volontaire... ou bien semi-volontaire...
On est rentrés chacun chez soi se mettre en tenue de sport. Moi j'ai mon survêtement qui me boudine. Il est venu me chercher à domicile, sûrement par crainte que je me débine. Mais il m'attendait sur notre banc, excité comme une puce. Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vu aussi heureux. De courir ? Ou bien d'assister à ma perte en direct ?
Les premières minutes dans ma rue, faciles ! En cours de sport, on nous force souvent à faire ce petit échauffement, ça va.
Mais au bout du boulevard, ça se corse. Mes jambes s'alourdissent. Mes poumons se dilatent et ma gorge se resserre. Je ne vais pas tenir longtemps. Mais David m'encourage, s'arrête avec moi, m'incite à réguler ma respiration et à inspirer et expirer profondément. Il trottine sur place pendant que je reprends mes esprits. J'ai l'impression qu'il est content de me pousser, d'être un peu meilleur que moi. Moi ça me gêne pas de le valoriser si ça lui fait du bien. On repart.
Puis il me pousse à respirer comme une femme enceinte. C'est laborieux et ridicule, tout le monde nous regarde dans la rue, certains se moquent. Pendant un temps j'oublie la douleur, je suis à Pigalle, il y a des sex-shops partout et ça attire mon attention. Puis hop une rue plus facile que les autres ! Super je progresse... ah non c'est une descente c'est pour ça. Et avec mon poids je roule.
Mince la rue suivante c'est un cauchemar, pourquoi suis-je aussi mauvaise ? Ah ben voilà, c'est une côte ! Mais il a disparu mon acolyte, où est-il ? Je fais marche arrière, en marchant. Et je le trouve caché derrière une voiture en train d'hyper-ventiler sur le capot. Je panique, j'ai peur qu'il s'étouffe. Il est asthmatique ou quoi ? Il me regarde avec détresse, je lui demande si je dois appeler les secours, il hoche violemment non de la tête. Sa respiration se calme mais il est cassé. On va s'asseoir, et il se met à pleurer. Je ne sais pas quoi dire, ni quoi faire. Je ne suis pas tactile, lui non plus. Mais on est assis collés l'un à l'autre et c'est suffisant. L'énergie passe.
- T'as été super Sarah. Tu fais tout cet effort pour moi alors que tu détestes ça. Tu m'as jamais menti alors que moi je suis un roublard, je suis qu'une merde.
- N'importe quoi ! T'as fait un effort énorme ces derniers jours, t'es allé voir le type à l'hôpital, tu veux t'en sortir quoi !
Il se remet à pleurer et n'ose pas me regarder, je comprends où il veut en venir :
- Tu l'as pas fait...
- Non j'ai pas eu le courage, je me disais que j'allais m'en sortir seul. Il fallait simplement que j'en aie la volonté. Mais tu vois je suis un déchet. Je t'ai baratinée pour te faire plaisir.
- Je m'en fous que tu me fasses plaisir, dis-je avec colère.
- Je déçois tout le monde, ma mère doit être dégoutée là où elle est, elle qui m'encourageait à courir le marathon.
- N'importe quoi. Ta mère elle voudrait que tu te soignes et bien.
- Toi aussi t'es dégoutée par moi.
- Non c'est pas vrai...
- J'ai lu ce que tu grattais dans ton journal intime...
- Ben fais comme chez toi !
Il se relève pour partir, mais je ne veux pas que ça se finisse comme ça.
- Non mais attends ! Ce qui me dégoute c'est ton comportement depuis que tu fumes tes merdes. Ça me dégoûte ce que ça te fait. T'es plus toi même. J'aime trop le mec que j'ai rencontré à côté de moi et qui m'a pas traitée en paria. J'aime pas du tout l'autre type que je vois en toi.
- Je sais plus qui je suis...
Il vient se rasseoir sur la marche. Et se remet à pleurer dans ses mains. J'hésite avant de poser une main sur son bras. Je suis maladroite, je reviens je repars, je pose ! C'est la première initiative tactile de ma vie. Il sursaute, me regarde droit dans les yeux, et se jette sur mes genoux, enfin je dirais plutôt mes cuisses, comme le Chien aime bien faire.
Je l'observe, médusée. J'aimerais pouvoir me lâcher comme ça, pleurer, me jeter sur quelqu'un. Mais je suis un glaçon. Lui il s'en fout, il se calme, puis reprend ses inhibitions et se détache de moi. Je ne veux pas lâcher le morceau, mais il prend les devants : « Tu viendras avec moi là-bas? »
J'ai été saisie d'un courant de 10 000 volts dans tout mon corps. Mes poils se sont hérissés. Mais comment décrire par des mots ce sentiment énorme, cet électrochoc ? Non je n'ai jamais vécu ça. Cette sensation de compter pour quelqu'un, ce quelqu'un qui a besoin de moi. Je suis bouleversée et je n'arrive pas à répondre alors que j'ai envie de dire oui. Puis il me relance sur une autre question :
- Tu reviendras courir alors quand j'irai mieux ?
- Oui, je viendrai avec toi... voir l'addicto-machin.
Il a souri. Il a trouvé le moyen de me faire dire oui !!!
On est repartis en silence, je l'ai raccompagné chez lui. Et on s'est fait une double bise comme des vrais amis. C'était la première fois ? Non la deuxième, je pense. Aussi la deuxième fois que je faisais une simple bise à quelqu'un. Navrant à 16 ans.