SAMEDI 10 NOVEMBRE 19h55 : FATAL ERROR – RESET?
Il m'est arrivé des anecdotes bizarres aujourd'hui.
Je suis passée chez les voisins, personne ne répondait, j'ai ouvert comme je fais souvent maintenant. Ils me laissent accès à l'ordinateur la journée à n'importe quelle heure et je n'hésite plus depuis le début des vacances. Je me suis assise discrètement au bureau et j'ai allumé le PC. Puis j'ai entendu des petits couinements, des respirations d'efforts. Genre salle de musculation : un mélange de douleur et de soulagement. Impossible de savoir d'où ils venaient au début, puis j'ai vu une tête transpirante dépassant du canapé. C'était Kamil.
Mon dieu! Je ne savais pas quoi faire. Partir immédiatement avec le risque de me faire voir entraînant une irrémédiable honte pour tous. Ou bien ne rien dire et me cacher sous peine de me faire passer pour une voyeuse perverse. Pas de doute sur ce qu'il se passait derrière le canapé...
Je pense que que si j'avais été une fille décomplexée, je serais restée, j'aurais écouté, j'aurais appris. Mais non je préférais le risque de me faire prendre en m'enfuyant. Je suis trop jeune ou trop prude ou trop fragile pour entendre un film porno à trois mètres de moi. Pas besoin d'un nouveau sujet de thérapie, j'ai déjà du boulot.
Je m'enfuis lourdement, mais finalement sans attirer son... leur attention. J'ouvre la porte au moment d'un petit cri masculin. Ouf sortie d'affaire...? A l'instant où je m'apprête à refermer la porte, la Vieille me tombe dessus, je sursaute, et elle me fait claquer la porte maladroitement. Plutôt que de se fermer elle rebondit et s'ouvre en grand. Un moment d'horreur qui me fait rougir de honte :
- la Vieille sur le palier d'un côté qui se demande ce que je fais chez les Jeunes aussi souvent, ce que je viens de faire là tout de suite alors que des bruits bizarres viennent de derrière le canapé.
- Kamil de l'autre côté qui doit se demander ce qui se passe en plein, en pleine, au beau milieu de , bref à un moment très intime qui ne vous regarde pas. Il arrête sa... son et sort le visage transpirant de l'arrière du canapé et nous jette un regard noir.
- Et moi la reine des gourdasses au beau milieu, les joues violettes, le cou tâché de plaques rouges, les mains tremblantes comme si j'avais fait quelque chose de très mal, prise la main dans la sac.
Mais qu'est ce qu'ils s'imaginent??? Finalement un mot est sorti de ma bouche, en me tournant vers l'un puis l'autre : « je suis désolée, je voulais pas... » et les deux en simultané et en osmose pour la première fois de leur vie : « mais qu'est-ce qui se passe ici? »
Je me suis enfuie dans l'escalier et la Vieille m'a hurlé dessus : « Tu vas voir, sauvageonne, ce que va en dire mon mari! ». Il était quoi...16h30?
J'ai ramé deux heures dehors en retournant le problème dans tous les sens, en cherchant la meilleure stratégie. Et finalement vers 18h30, alors que j'avais le cul vissé sur mon banc préféré, deux éléments inconciliables arrivent vers moi chacun de leur côté. Yunso et le Vieux! Comment faire pire?
Mais Yunso voyant le Vieux change de direction tout en m'adressant un clin d'œil. Le Vieux qui voit assez mal sur les côtés ne la voit pas puis s'adresse solennellement à moi : « Sarah, ma femme m'a appelé en urgence, il faut qu'on parle tous les trois, ça ne va pas du tout! »
Je me fais penaude et j'obéis en le suivant. Je vais passer à la casserole c'est imminent et ça va chauffer.
Une fois dans l'appartement la Vieille m'attend sur le canapé les bras croisés dans un silence religieux. La télé a été éteinte pour l'occasion et le chien a été enfermé dans une autre pièce (il risquerait de prendre ma défense). La Vieille jouit de cette situation où le Vieux va se déchaîner sur moi avec elle, une association vengeresse de Thénardiers. Tu parles, elle n'attendait que ça alors que le Vieux se rangeait régulièrement de mon côté ces derniers temps. Elle n'attendait plus que ça dans sa vie : me prendre sur le fait. Elle sait que les voisins, c'est mon talon d'Achille. C'est la fin de ma liberté. Et si encore elle m'avait simplement vue sortir de l'appartement, mais en plus il y a l'autre obsédé sexuel qui était en train de s'ébattre derrière le canapé et qui a montré son visage rouge et suant d'effort. De quoi imaginer le pire.
La Vieille entame le débat avec houle : « Voilà on en a la preuve maintenant, elle passe son temps chez eux , et elle assiste ou participe à des choses indignes de mon toit. Je n'accepte pas qu'une ado perverse vive sous mon toit. C'est le moment de la renvoyer et de tout dire à l'assistante sociale. Je n'accepte pas ses mœurs bizarres, elle a 16 ans. C'est une honte. Elle fait honte à notre foyer et à notre fille Emilie. Je ne veux plus la voir. Je ne me sens pas en sécurité »
Le grand jeu, pire que ce que je pensais. Le Vieux intervient, mécontent : « je t'avais dit de ne pas les fréquenter sous peine de t'y brûler les ailes, qu'as-tu à dire pour ta défense? »
Je suis paniquée, je ne sais pas quoi répondre, je me sens coupable en fait. Oui j'ai assisté à quelque chose là-bas et le Vieux a raison. La Vieille enfonce le clou : « Tu vois elle rougit. Elle est coupable. Et quand je l'ai prise sur le fait tout à l'heure, elle tremblait, elle était rouge, elle a foutu le camp. Et elle n'a rien à dire pour sa défense. »
Le Vieux me jette un œil de désespoir, de déception liée à un acte irrémédiable. Je me demande alors comment on a pu en arriver là en si peu de temps. Et au fond de moi je ne crois pas au départ, le Vieux ne peut pas me faire ça.
L'assemblée-juge sursaute lorsque la sonnerie vient retentir comme un gong. Tout le monde se regarde surpris : en effet la sonnerie personne ne l'utilise puisque personne ne vient jamais ici. Les Vieux n'ont pas d'ami, et je suis leur exemple! Alors qui peut bien venir mettre les pieds dans le plat à ce point? Est-ce le lynchage final ou bien le sauvetage divin?
La Vieux va ouvrir la porte alors que le Chien, brutalisé dans ses habitudes également, grogne derrière sa porte. Et là, l'assemblée tombe à la renverse...
Dans un feuilleton on aurait pu imaginer le retour d'Emilie!!! Et bien c'était Kamil, tout en sueur et en suie, ou plutôt en cambouis :
« Excusez-moi je viens apporter à Sarah le vélo que j'étais en train de lui réparer tout à l'heure... »
Mon visage s'illumine, la Vieille me mitraille pour lire la vérité sur mon visage, le Vieux fronce les sourcils et désavoue sa femme en haussant les épaules et en soupirant de ras-le-bol. La Vieille fulmine.
Yunso qui restait cachée derrière Kamil et le vélo, intervient : « Sarah on t'a aussi réparé l'ordinateur dont tu as tant besoin pour travailler et que tu n'as pas chez toi, tu vas pouvoir avancer comme ça ».
Je ne savais pas où était le vrai (le vélo?) ou le faux (l'ordi pour travailler lol) mais tout était extrêmement bien pensé, même machiavélique! Ces jeunes qui devraient n'en avoir rien à foutre de la grosse et moche du palier, viennent de me sauver la mise.
Le Vieux, agacé par la situation, n'écoute pas la fin de l'histoire et va s'enfermer dans son bureau.
La Vieille comprend que l'ordinateur est un reproche à son encontre et qui pourrait se retourner contre elle face à Rondin. J'en suis sûre. Elle sait très bien que son foyer d'accueil est « limite ».
Kamil conclut ce coup de maître : « Le vélo je te le laisse dans le local, il est à toi maintenant »
Les deux me font un petit coucou complice, ne saluent pas leur voisine et mettent les voiles.
Quelques secondes plus tard, je m'en vais vers ma chambre et je découvre en ouvrant la porte que la Vieille y avait enfermé le Chien. Il me saute dessus sportivement en me léchant le visage. Et je me laisse faire bouleversée par ce qui vient de se passer. Quelqu'un vient de faire quelque chose pour moi et un animal me témoigne une vraie tendresse que je ne lui connaissais pas.
Décidément ces vacances de la Toussaint auront été riches en événements et en révélations presque autant qu'en deux mois d'école.
Malgré ce petit tourbillon positif du jour qui assied ma présence durablement dans ce quartier, un petit os me turlupine : je ne sais pas faire de vélo...