Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
16 ans, grosse & moche!
22 mai 2013

MERCREDI 22 MAI 16h55 : L'ALTRUISME DE L'ART

La prof d'arts plastoc annonce à toute la classe que nous allons chercher et trouver des idées de mise en forme pour le gala artistique annuel : « Nous allons écrire une histoire à partir de tout ça et tout le monde va participer. C'est aussi un travail d'art que de mettre en valeur les œuvres des autres ».

Jusque là ça va. J'espère que mon œuvre sélectionnée ne sera pas reconnaissable et que je pourrai passer inaperçue. (cf post du 15 mai)

Puis elle demande à ceux dont les œuvres ont été sélectionnées d'aller les chercher dans le cagibi du fond de la classe : les œuvres nous attendent dans un coin.

En rentrant dans le cagibi, le Tatoué s'exclame de joie : « J'en ai plein, j'en ai plein, même la boule de Noël qui a cramé ! ». La Gothique le félicite. Il jubile. Horripilant. Ce type a inventé la vanité.

Ah mince, dans le fatras de la prof, je reconnais au moins deux de mes chefs d'œuvre, puis trois... c'est raté pour passer inaperçue...

Et c'est long et lourd de les ramener un par un. Le Tatoué annonce à tout le monde qu'il a 8 œuvres sélectionnées.

Mince je vois un quatrième chef d'œuvre à moi... Tout le monde a déjà ramené toutes ses œuvres et moi je suis encore là à faire le transport. Le Tatoué lance une vanne à sa copine que toute la classe entend : « Elle va mettre tout le cours à ramener ses trois croûtes, c'est pour qu'on la remarque, elle adore ça ! »

Il est peut-être bon en arts, mais pas en intuition. On peut pas dire qu'il m'ait bien cernée.

Tout le monde m'attend, mais ouf j'ai fini, j'en ai ramené 6, des croûtes.

La prof au bout de quelques minutes émet un doute : « Mais il en manque ! ». Le Tatoué réagit immédiatement : « Plus pour moi, plus pour moi !»

Elle va voir dans le cagibi, cherche dans son bordel : « Eureka ! J'en ai d'autres là ». Le Tatoué se précipite seul et ressort du cagibi les mains vides, le visage décomposé.

La prof ramène une puis deux puis trois œuvres au pied de la porte du cagibi. Je suis rouge pivoine.
« Ben alors, c'est à qui ces œuvres ? Son propriétaire n'en veut plus ? Elle se cache... »

Puis elle me fixe dans les yeux : « Allez faites pas la modeste Alina, y'en a à vous là-dedans non ? »

« Han, j'y crois pas, c'est à l'huître, regarde ! ». C'est le Tatoué qui parle de moi alors que je suis en train d'aller chercher... les trois œuvres sorties du cagibi. Ça marmonne dans la classe et mes oreilles sifflent.

Tout le monde me regarde bizarrement et une fille me lance une pique : « T'es la nouvelle chouchoute, c'est officiel ! »

Mais la prof voit bien qu'il se passe quelque chose : « Arrêtez donc de compter, on est en arts plastiques, pas en mathématiques. C'est pas un concours, pas une compèt ! Je veux que toute la classe s'approprie ces œuvres et fasse des propositions. L'appropriation c'est ce qui peut sauver l'Art de l'oubli.»

Si tout le monde pouvait oublier que j'existe ! Durant cet horrible brainstorming, tout le monde me regardait, attendait que je parle : « Bah propose ! Tout est à toi, on va pas se faire chier avec que tes œuvres » lance la Gothique, sûrement en guise de représailles.

Mais je décide de me taire. Le Tatoué fait le mort aussi : lui qui se réjouissait avec ses 8 œuvres, n'arrête pas de recompter mes œuvres et il arrive... bien à 9...

Mais trente minutes plus tard il se réveille : « C'est de la triche, y'a une de ses merdes qu'a été divisée en deux, donc ça fait 8, égalité, égalité ! »

Il tente alors de les réunir, mais la prof intervient : « Non c'est mieux séparé, c'est plus parlant, ce sont deux œuvres distinctes pour moi et qui se cherchent l'une l'autre! ». Il fait la moue.

Et là j'ai pas pu m'empêcher de lui montrer les neuf doigts de ma main. Il m'a répondu dans le même registre mais avec un seul doigt... charmant !

La cacophonie s'est finie en pugilat : personne n'était d'accord sur la marche à suivre ni sur l'histoire à raconter, ceux qui n'avaient pas d'œuvre sélectionnée s'en fichaient, les autres tentaient à tout prix de mettre en avant leur rejeton au détriment des autres. Et le Tatoué tentait de mettre mes œuvres en danger par jalousie, il les mettait dans le passage afin d'être sûr que quelqu'un marche dessus.

Qui a dit que l'Art était altruiste ???

En fin de cours, je suis restée seule devant mes croûtes de toute sorte, tentant de comprendre pourquoi autant avaient été sélectionnées. Aucun fil rouge, aucun schéma directeur : un amas sans queue ni tête de peintures, de fusain, de sculptures, d'art contemporain, un concentré de maladresse ingénue, un éléphant dans un magasin de porcelaine, voilà ce que je vois.

Puis la prof me surprend dans ma réflexion et sourit : « Vous pouvez être fière de vous, c'est très inspiré, très sincère, très profond, plein de maturité. Je suis avare de compliments généralement car on n'est pas là pour ça mais prenez les, Sarah, ils sont mérités. »

On ne m'a jamais parlé comme ça de toute ma vie. J'en tremble... sans pouvoir la regarder.

« Je lis dans tout ça toute la souffrance, tous vos doutes, toutes vos émotions. C'est comme un roman. Le roman de votre année scolaire ».

Mince alors, quelqu'un a vu quelque chose dans le brouillard épais de mon âme.

Sur le moment, je suis émue, je la remercie, ses mots ont une grande valeur pour moi. Elle quitte la classe discrètement. Et je reste devant mon « roman » qui n'a toujours aucun sens pour moi. C'est dur à dire mais je crois que je suis une imposture artistique... peut-être la marque des plus grands !!!

Publicité
Publicité
Commentaires
Archives
Publicité
16 ans, grosse & moche!
Visiteurs
Depuis la création 26 166
16 ans, grosse & moche!
Catégories
Publicité