Du coup je rappelle la dame américaine et je me fais avoir comme une idiote :
- Bonjour Madame je suis la fille du banc avec le Chien...
- Yes, I remember, tu es Sarah ?
- Oui mais comment savez-vous ?...
- Well c'est ta grand-mère qui a cité ton prénom...
- Ah oui c'est vrai...
- C'est étrange j'ai déjà ton numéro en mémoire, tu as déjà essayé de m'appeler depuis hier ?
- Ah non c'est la première fois
Ben oui je l'ai appelée l'autre jour de mon téléphone en me faisant passer pour une Australienne.
- Well that's strange...
- Ah oui j'ai dû essayer y'a 5 minutes mais ça a coupé...
- Ah... bon tu es okay ?
- Oui oui je suis prête. A quelle heure voulez-vous que je vienne ?
- Well, passe à 19h, je te montrerai toutes les consignes.

Les consignes ? Mais elle va me stresser là. Et en plus on n'a pas parlé salaire. C'est bizarre de travailler sans savoir combien on va être payé... et pour combien de temps !

Je me suis réveillée angoissée. Je dois convaincre un des Vieux pour mon job de babysitter alors je prends mon courage à deux mains et je vais dans le bureau puant du Vieux, pièce dans laquelle je mets les pieds pour la deuxième fois. Il n'est pas là. Il y a des trophées de sport, des cendriers partout, des pipes, un ordinateur des années 70 et une tête de cerf empaillée que je n'avais pas du tout remarquée la première fois. C'est d'un autre temps...

Je sursaute, le Vieux vient de rentrer dans le bureau, très suspicieux :
- Sarah...Tu veux quelque chose ?
- Oui j'ai trouvé un travail...
- Ah bon aussi vite...
- Oui c'est un job de babysitter.
- Je t'imagine pas du tout avec des enfants.
Moi non plus mais bon.
- Si si, j'adore les enfants !
- Il faut des diplômes pour ça. C'est dangereux un enfant.
- Mais elle a 5 ans...
- C'est pire. Elle a besoin d'un adulte.
Sous-entendu je suis pas plus mûre qu'une fille de 5 ans.
- Bon bah je travaillerai jamais.
- Tu peux bien trouver un job dans un fast food ?
- Mais c'est dans l'immeuble là, y 'a pas de risque.
- Je connais pas d'enfant dans l'immeuble.
Sous-entendu je monte un pipeau pour sortir... Comme je ne sais pas argumenter, je m'apprête à mettre les voiles. Quand un petit vent me retourne le cerveau et m'encourage à retourner au charbon :
- Euh je voulais vous dire ça sent pas bon dans ma chambre.
Il rit, s'en fout complètement et se moque gentiment de moi :
- Tu peux aérer tu sais, c'est normal dans une chambre.
- C'est pas une odeur normale, ça sent le fauve et ça vient de la trappe.
- La trappe ? Ah oui... la trappe...
- J'ai vérifié, j'en suis sûre, l'odeur vient de la trappe... je me demande d'où ça part à l'origine...
Il ne répond pas et son silence est assez éloquent. J'enfonce mon clou.
- Je vous garantis que cette odeur est en train de m'asphyxier. Et c'est bizarre elle a disparu pendant quelques jours, juste après le cambriolage et puis elle est revenue, c'est vraiment étrange non ?
Il me dévisage comme s'il essayait de décrypter ce que j'ai dans le cerveau :
- Je vais boucher la trappe avec du silicone t'inquiète pas... Et pour le babysitting c'est ok si c'est dans l'immeuble. C'est pour quand ?
- C'est pour ce soir...

Il a levé les yeux au ciel et a allumé son ordinateur 70s qui ronronne comme un moteur.

Emballé c'est pesé. Mais il a fallu louvoyer. C'est sûr... il a quelque chose à cacher....

Évidemment j'ai été vite déconcentrée... par le Chien. Enfin je crois que j'étais tout à fait prête à être distraite et le plus vite possible. Il voulait sortir... ou bien il a senti que je voulais sortir.

Après un quart d'heure de balade, je m'assieds sur mon banc, devant l'immeuble. Et une gamine haute comme trois pommes vient titiller mon Chien. Elle lui tire la queue et assez violemment, mais le Chien s'en fout ou je dirais même qu'il apprécie. Et je balance une vanne à la petite fille abandonnée : « dégage, laisse mon Chien tranquille ». Et la gamine s'approche de moi et parle avec une petite voix aigüe :
- I love your doggy, he's cute.
Je ne sais pas quoi lui répondre :
- Mais t'as fait quoi de ta mère ?
Elle me regarde avec ses grands yeux tout bleus et tout innocents. J'ai bien compris qu'elle ne comprenait rien et je tente un effort surhumain :
- Wherrrrre is your mum ? avec un accent à couper au couteau le brouillard londonien.
- Don't know, I lost my mummy.

Et elle se met à chialer. Puis s'accroche à ma jambe. Attendrie, je me décide à la prendre très maladroitement dans mes bras. Et bingo elle s'arrête de pleurer. Elle s'assied sur mes genoux, et observe le Chien en souriant : « I want your doggy ! Can I borrow your doggy ? ».

Le Chien est conscient d'être au centre de l'attention, une fois n'est pas coutume ! Et il semble adorer ça. Il vient lécher le doigt de la petite fille qui gémit et rigole : « tickle tickle ».

A ce moment-là, la Mamie du quartier passe devant moi, le Chien et la Petite puis se fige. Je lis de l'émotion
triste dans son regard pendant quelques secondes puis elle vient nous parler : « Comme vous faites un beau tableau tous les trois ! Comme vous êtes mignonnes ! Vous me rappelez mes filles... »

La Mamie s'assied avec nous et le Chien s'assoupit à nos pieds. La Mamie sort un gros éclair au chocolat qu'elle nous propose de partager en trois.

La gamine a complètement oublié sa mère. Et se goinfre salement. Enfin c'est pas la seule. Car la Mamie se retrouve aussi avec une moustache au chocolat.

« Hey Jessica », entend-on au loin avec hystérie.
« Hey Mummy ! »

Ça y est la mère est enfin là et elle est en colère, mais la petite fille ne bouge pas, elle semble bien sur mon genou. Moi elle me fait mal, elle est lourde quand même !
- I've been looking for you for one hour, never disappear again !
- But there was this doggy...
- Excusez-moi mademoiselle si ma fille vous a ennuyée....
Dès que la mère parle français, je reconnais sa voix douce et son accent lourd : c'est la mère de l'annonce « babysitting ». Incroyable ! Je deviens toute rouge, de peur qu'elle ne reconnaisse ma voix après mes bêtises téléphoniques d'hier.
- Come now Jessica !
- No, I want to stay with my new friend, she has a cute doggy !

Décidément elle a flashé sur mon Chien qui ne paie pas de mine (pour ne pas dire qu'il est affreux). La mère est attendrie par la scène du banc qui réunit une ado grosse-moche, une Mamie gaga, un horrible chien et sa merveilleuse petite fille qui a la tronche remplie de chocolat :
- J'ai l'impression que ma fille vous a adoptée, vous, votre grand-mère et votre chien. Vous ne chercheriez pas à faire un peu de babysitting ?

Et voilà encore une leçon de vie. Le crime ne paie pas, la vérité si !
- J'ai pas beaucoup d'expérience.
- Oh c'est pas bien grave, je fais confiance à ma fille qui est très...comment dit-on... shy en Français ?
- Ah timide ! dit la grand-mère.
- Voilà ! Vous l'avez apprivoisée ! And this wasn't an easy challenge ! Je suis dans l'immeuble juste derrière.

Bien sûr c'est le mien. La boulangère, extorqueuse de viennoiseries, avait raison.
- Moi aussi j'habite dans cet immeuble.
- Oh merveilleux. Quelle coïncidence ! Vous n'aviez pas vu l'annonce ?
- L'annonce ? Ah non je vois pas... (ouh la menteuse)
- On est au 4ème étage, et vous ?
- Le 2ème.
- Fabuleux, votre Chien est le bienvenu.
- Vous ne le regretterez pas ! Sarah adore les enfants ! sort la grand-mère comme un éclair en plein désert.

Mais d'où elle sort ça ??? Décidément la Mamie fait aussi partie de mes anges gardiens ! La maman me donne son téléphone (que j'avais déjà) et me propose de commencer demain soir !

Argh !!! Mon premier job ! Est-ce que je vais avoir l'autorisation des Vieux ? Est-ce que Jessica va prendre le dessus sur moi ? Mince tout ça m'angoisse !

Et puis autre constat : la mère américaine n'a pas une tête de star, je la reconnais pas... mais peut-être son mari est LA STAR... Hummm ma curiosité frétille...

Je dois vraiment me mettre au boulot. Les vacances sont passées à une vitesse folle. J'ai deux dissert' de français à travailler. Et là soudainement le stress monte.

Et le bilan n'est pas très positif : je ne sais pas qui envoie ces tarots qui ont envahi mon cerveau la moitié du temps, je n'ai pas trouvé 79 euros pour mes shoes qui sont prêtes chez le cordonnier, je me suis transformée en maître chanteuse auprès d'Ashley, ah si j'ai gagné une carte SIM Free sans faire d'effort, c'est pas glorieux mais je remercie ma Paola encore une fois qui doit me lire de temps en temps.

Bon aujourd'hui, je sors pas d'ici : Je bosse !!!! Hein, quoi ça?

Cette ferveur dans la foule à Rome me rend un peu dubitative. Je ne veux pas choquer mes lecteurs pratiquants, mais il y a vraiment la même intensité qu'un concert pop. Et un concert c'est un spectacle étudié, carré, un savant mélange de mise en scène et de marketing. Alors cette élection n'est-elle pas non plus un beau spectacle bien rodé avec ses fumées noires et blanches ? On dirait un conte avec ses symboles... Voilà quelque chose qui ne coïncide pas avec l'idée que je me faisais d'une religion... le show ! Yeah the Papam is on stage ! Il doit y avoir des chauffeurs de salle non ? Et des fans hystériques ?

Bizarre ça me rappelle aussi un reportage à la télé sur une secte. Et pendant ce temps-là, la Vieille est en train de pleurer devant les images en boucle sur BFMTV des premiers mots de François 1er au balcon... Et elle commente : « C'est un homme bon et pur, ça se voit tout de suite ! ».

Elle ne m'aide pas à prendre tout ça au sérieux.

On va dire que mon esprit s'embrouille sûrement avec la fonte des neiges de mars à Paris...

Après un ciné partagé, et subventionné par les tickets ciné du CE de son père, David décide d'appeler à son tour la mère américaine en se faisant passer pour un bon Français. Ben il est Français, c'est ridicule ce que je dis :
- Oui bonjour Madame, j'ai vu votre annonce et je cherche quelques heures de babysitting.
- Oui d'accord, vous avez de l'expérience ?
- Oui beaucoup, enfin je suis étudiant. J'ai fait beaucoup de babysitting.
- Dans quelle matière vous étudiez ?
- Euh bah...le Français...
- And vous parlez Anglais ?
- Euh non, mais je parle très bien Français.
Mais pourquoi répond-il ça ? Sûrement pour s'adapter au discours de la mère lors de mon appel. Elle avait dit qu'elle voulait une nounou française.
- Écoutez euh, on cherche plutôt une fille, une étudiante, on serait plus rassurée. Pas besoin d'autant d'expérience.

Faut dire que la voix un peu cassée, un peu rauque et brutale de David peut faire peur... Du coup je ne sais plus vraiment ce qu'elle recherche la « star ». Et ça commence à plus vraiment m'amuser.

Je rentre bredouille. Voilà un petit jeu bien inutile. Mais au moins j'ai compris un truc : toutes les excuses données par la mère sont bidons ! En quelques mots, la mère made in USA se fait une opinion, comprend qu'elle ne veut pas de nous et invente n'importe quoi pour ne pas dire la vérité. Faut dire qu'on n'avaient pas l'air très sérieux, David et moi...

J'ai été trop conne de jouer car j'aurais pas craché sur un petit job... à 79 € pièce !

David m'encourage à appeler pour l'annonce. Il adore s'encanailler avec moi ou que je m'encanaille toute seule. Alors il me monte tout un scénario : j'ai dix ans d'expérience, j'ai un brevet d'état en garde d'enfant, faut que j'aie l'air très adulte, très stricte, un vrai rôle de composition. Je m'invente une voix, et même un accent anglais, on se dit que ça marchera mieux. Tout ça reste une blague, je ne franchirai jamais le pas. C'est un canular téléphonique en somme. David écoute attentivement, on est dans notre QG, la ruelle :
- Oui bonjour je m'appelle Cathy et je suis nounou, j'ai vu votre annonce.
Première phrase totalement pas spontanée, avec un accent bidon épouvantable. C'est sûr je ne deviendrai pas comédienne. J'obtiens une réponse un peu gênée avec un accent américain un peu lourd mais une voix douce :
- Oh sorry, vous êtes professionnal ?
- Oh oui, j'ai beaucoup de références.
- On recherche vraiment que ponctuellement. Et idéalement une Française pour que la petite apprenne bien la langue, je suis vraiment désolée. Mais vous êtes de quelle nationalité ?
- Oh je suis euh...australienne.
- Ah je reconnais pas l'accent, and where do you blablabla...
Je comprends plus rien et je lui raccroche au nez.

Voilà du beau travail. Ça n'a servi à rien, à part démontrer que je me suis fait démasquer en dix secondes chrono avec mon accent pipeau. David avait tout faux. Et moi j'ai pas reconnu la voix d'une star américaine, faut dire que je regarde beaucoup de VF...

Ça me démange d'appeler la « star ». Il faut que je prépare mon rôle. Non ça m'angoisse trop. Non j'ai trop envie. Ma curiosité me brûle... mais je suis trop timide. Ça serait qu'un coup de téléphone...

De toute façon c'est trop tard pour aujourd'hui!

En sortant avec le Chien j'ai repéré une petite annonce dans le hall avec un numéro de téléphone à arracher. Ça se fait encore ? Parce qu'avec les téléphones portables aujourd'hui, on n'a plus trop besoin de se balader avec un micro-bout de papier dans la poche.

Et cette annonce m'a intriguée :
« Famille américaine cherche babysitter à temps partiel. Recommandations exigées. English speaking welcome. Appelez-nous au 07...»

Ouais, je comprends mieux. Il n'y a que les Américains pour faire ça : chercher une babysitter dans la rue ! C'est dans leur culture ! Moins chez nous.

Je me suis demandée si j'allais trouver l'annonce partout dans le quartier, à côté de l'annonce par exemple « Grand marabout africain opèrre retourt d'amour et d'argant. Résultats satisfaisants ou bien remboursée ! » Telle quelle, avec les fautes, sur quelques gouttières du quartier. Ou bien « Homme petit de taille mais grand de cœur cherche amour avec bonne cuisinière » sur l'arrêt de bus. Non aucune trace de l'annonce « babysitter » qui a l'air d'être bien ciblée.

Le Chien remplit le caniveau, et au passage je m'achète un pain au chocolat, et là bingo : l'annonce « babysitter » est là. Je demande à la boulangère qui commence à me connaître (et aussi ma sempiternelle gourmandise qui remplit ses caisses) :
- Vous en savez plus sur l'annonce « babysitter » ?
- Ah ben pas vraiment. La mère portait des lunettes de soleil et avait un accent, on comprenait rien.
- Vous savez où elle habite ?
- Ah ben je sais pas tout moi...
- Tiens mettez moi un deuxième pain au chocolat pour la route et un croissant aux amandes...
- Ah ben ça me revient, elle a dit qu'elle habitait dans la rue je crois...
- Et si je prends une part de flanc ?
- Je l'ai vue rentrer dans l'immeuble en face, elle était accompagnée d'un sacré gorille !

Sûrement une star américaine ! Avec son bodyguard ! Qui est venue fuir la presse intrusive de son pays ! Et l'immeuble en face c'est le mien !

Bon je vais pas appeler, j'ai pas de références comme elle demande. Et puis moi, babysitter ? Depuis la fausse claque (cf post du 30 octobre 2012 18h20), je m'éloigne des enfants.

Pourtant, c'est trop bête... je pourrais faire d'une pierre deux coups : mener mon enquête sur la « star » et trouver un petit job !!!!!!! Je voudrais surtout lui rendre ses Tarots, là, qui m'encombrent un peu...

Petit clin d'œil du hasard : Baladeur me voit en babysitter et bien avant ce post !

J'ai reparlé à David des Tarots qui finissent dans ma boîte aux lettres. Et il s'inquiète pour moi. Et je lui ris au nez. Franchement, maintenant que je suis sûre que c'est une erreur, ça m'amuse, et j'aimerais bien en recevoir d'autres...

Du coup je suis en embuscade dans l'immeuble pour trouver la « star » qui se cache ici, incognito mais qui a été retrouvée par un paparazzi. Et qui s'appelle sûrement Sarah !

J'ai vérifié les boîtes aux lettres au rez-de-chaussée : elles sont toutes nominatives (noms de famille seulement, pas de prénom, dommage...) et les étiquettes ont l'air assez anciennes. Rien n'attire mon attention. Mais il y a un nom de famille à la sonorité anglo-saxonne.

Je me suis baladée à tous les étages, j'ai croisé des têtes vaguement connues, ou bien totalement inconnues, découvert des étages où je n'avais jamais mis les pieds. Il y avait un étage avec une poussette sur le palier, au quatrième étage.

Et puis j'ai fait le pied de grue derrière mon judas. Rien à signaler !