On est passés à la casserole avec 45 minutes de retard et notre oral aura duré 35 minutes au lieu de quinze. La débâcle...
Les minables qui constituent mon groupe ont encore adapté le sujet qui est devenu : « les people sur les réseaux sociaux ».
On a eu droit à un défilé de Britney Spears, Justin Bieber, Kim Kardashian, One Direction et même un florilège de grandes stars françaises comme Nabilla et Amélie des Anges de la Télé-réalité.
Je savais plus où me mettre. Au début je n'osais même pas lancer un regard aux profs. Puis voyant que mes compères tentaient d'être drôles sans effet, je me suis pincée pour voir le visage des deux profs...
Ils avaient l'air de s'ennuyer ferme, l'un fronçait les sourcils pendant que la fille de mon groupe présentait un compte TWITTER sur le rétroprojecteur, l'autre prof baillait et regardait sa montre pendant que le type de mon groupe déroulait quelques diapos de powerpoint.
Oui sur la forme c'était moderne. J'étais impressionnée. On aura peut-être des points alors ??? Mais sur le fond c'était navrant, ça n'allait nulle part, que du vent et de l'esbroufe visuelle pour masquer le vide intersidéral de l'exposé.
J'ai pas parlé.
A la fin les deux minables attendaient des félicitations, les deux profs ont pris la parole :
- Vous avez un peu limité le sujet.
- Je dirais même que vous êtes un peu sortis du sujet.
- Vous avez travaillé avec un prof tuteur non ?
- C'est qui votre prof tuteur ?
- C'est lui !, indique son voisin en lui montrant un nom.
- Ah oui...
Silence. Qui en dit long. L'un des profs a levé les yeux au ciel. Visiblement notre prof tuteur ne semble pas en « harmonie professionnelle » avec ces deux autres profs. Ça me rassure que je ne sois pas la seule à penser que c'est un guignol.
- Et vous mademoiselle ? Pourquoi ne vous a-t-on pas entendue du tout ?
- J'étais pas d'accord avec le sujet.
- Et alors vous avez pas essayé de les convaincre ?
- Ils s'en fichaient.
Les deux minables ont gloussé derrière moi en guise de révolte mais ils n'ont pas osé parler car le vent n'était pas vraiment en leur faveur.
- Ah et vous avez quelque chose à rajouter ? a relancé un prof.
- Sur le sujet, je peux parler de mon expérience. Je me mets en scène sur internet, j'ai un blog.
Les deux minables de mon groupe ont pouffé de rire, mais le regard des profs s'est éclairci et ils ont commencé à m'assaillir de questions : « depuis combien de temps ? », « vos motivations », « à quel rythme ? ». Devant toutes ces questions bienveillantes, j'ai pas pu me retenir...
- J'ai commencé en septembre. J'écris tous les jours. Parfois c'est un plaisir, parfois c'est une simple habitude. Au début c'était comme une libération. Une cocotte minute. Je ne savais pas où j'allais au début. Mais aujourd'hui j'ai mes repères. J'ai fixé une voie avec des limites. Je souhaite rester dans l'anonymat. Pour mon bien et ceux dont je raconte l'histoire.
- Où s'arrête la vérité et où commence la fiction ? m'interrogea l'un d'eux.
- L'anonymat me permet de rester proche de la vérité. C'est comme un devoir, mais pas une obligation puisque l'anonymat donne tous les droits. Mais je n'y raconte que ce que je veux, et la réalité à la première personne que j'offre est totalement subjective, à mon avis. C'est ma réalité, ou plutôt mon irréalité. Certains croient que c'est une fiction, je le vois bien dans les messages qu'on m'envoie. Peut-être ma manière de rédiger, ou mon recul donnent à penser que je suis irréelle. Mais la matière brute est bien réelle, je vous le promets.
Je suis sortie de mon corps pendant ce moment de sincérité. C'est comme si ma liberté d'expression apparaissait pour la première fois à l'oral. Mais qu'est-ce qui s'est passé ?
Peut-être l'envie de prendre ma revanche sur les deux minables qui m'ont méprisée de bout en bout. Le fait que la soutenance tournait au vinaigre, qu'on n'avait plus rien à perdre et que les deux profs avaient l'air intéressés.
La discussion a continué, ils avaient beaucoup d'interrogations sur ma démarche et j'étais intarissable. Le temps passait et ils ont décidé de couper court. Les deux minables ont remis leur dossier et leur synthèse perso.
Un des profs m'a demandé si j'avais fait des recherches avant de commencer mon blog : « je me suis lancée sans regarder ailleurs sinon j'aurais eu trop de doutes. Mais j'ai fait des recherches pour le sujet aujourd'hui, je vous donne mon brouillon si vous voulez. »
Ils l'ont accepté !!! Et j'ai donné ma synthèse perso qui est très courte : je décris comment je me suis fait rejeter de mon propre groupe !!
Bilan : un fiasco de groupe, comme prévu.
Les deux se sont jetés sur moi en sortant :
- LA FILLE : La solidarité tu connais ?
- LE TYPE : On faisait partie du même groupe non ?
- MOI : Au moins j'ai fait diversion. Ça vous a évité de vous faire allumer comme des cons.
- LE TYPE : Tu nous a enfoncés !
- LA FILLE : T'aurais pu fermer ta gueule comme tout le monde.
- LE TYPE : Si on n'a pas la moyenne ça sera de ta faute.
- LA FILLE : Alors qu'on s'est donné à fond sur notre sujet et qu'on a fait une super belle présentation.
- LE TYPE : Avec le brouillon-torchon que t'as sorti à la fin, on va dans le mur.
- LA FILLE : Merci, grâce à toi on n'aura pas de point !!!
Je souriais en guise de réponse.
- LE TYPE : Laisse tomber elle est trop conne, elle nous a sabordés.
- LA FILLE : On va te ruiner ta réput' qu'est déjà bien naze...
Dire que je m'imaginais un instant qu'ils allaient me remercier de les avoir sauvés.
Si on est notés sur l'unité de groupe, on aura zéro.
M'en fous, j'ai ma conscience pour moi.