Je viens de passer une heure sous la douche. Je ne suis pas morte. Mais presque. Ou bien mortifiée.
Je me suis pointée avec le Chien dans l'allée sombre. Il faisait nuit noire. De toute façon, je me suis dit et répété que je ne craignais rien, maintenant que j'ai compris que je psychotais. Et puis je hurle si on m'agresse.
Bref de l'auto-persuasion, inconsciente, maintenant je m'en rends compte.
J'attends cinq minutes, le Chien fait ses besoins, que je ne ramasse pas, comme d'habitude. Et puis je me tire. Mais à ce moment débarquent deux filles avec chacune une cagoule rose qui masque leur visage. Et elles se jettent sur moi. Le Chien aboie mais l'une sort une boîte de Pal et là, le Chien miaule et fout son museau dans la boîte posée à terre. Et là je suis à leur merci :
- T'es à nous, maintenant, petite voleuse!
- Vicieuse voleuse! Ça rime.
Elles gloussent et je reconnais leurs voix, les stupides Pestes! Ah voilà qui m'a donné rendez-vous!!!!
- Je vous reconnais , Alyssa, Ashley!
Elles enlèvent leur cagoule et sont toutes décoiffées!
- ASHLEY : elle nous a reconnues!
- ALYSSA : c'est pas grave ça sera mieux qu'elle voit notre visage quand on va lui subir des sévices
- ASHLEY : tu vas venir au commissariat et déclarer que tu as volé le bracelet!
- ALYSSA : t'es trop idiote d'en parler à tout le monde...
- ASHLEY : t'as rien dans le ciboulot, tu croyais qu'on verrait rien... nous on t'a bien eue, t'es tombée dans tous les panneaux comme d'habitude... le local poubelle c'était trop drôle... t'es restée jusqu'à quelle heure?
Elles ricanent encore.
- ALYSSA (reprenant son sérieux) : On s'est bien foutues de toi, mais maintenant on va régler nos comptes, tu vas me le rendre mon bracelet, salope! Et tu vas aller te dénoncer au Proviseur et faire lever ma punition.
- ASHLEY : tu vas faire tout ce qu'on t'a dit sinon on te fait la tête au carré, promesse du gang des cagoules roses.
- MOI : fermez-la! Je ferai rien!
- ASHLEY : il va t'arriver des bricoles.
- ALYSSA : je vais prendre ma revanche, boudin!
- ASHLEY : Morue! Tête de cul! QI d'huître!
- MOI : et c'est toi qui me dis ça l'idiote de service, le toutou sans cervelle d'Alyssa!
- ALYSSA (en me tirant les cheveux) : ta gueule, parle pas comme ça à ma copine et rends-nous le bracelet!
- Elles fouillent méchamment mes manches, chacune de son côté, tombent sur le bracelet et l'arrachent de mon bras en m'égratignant :
- MOI : aïe!!!!!!! Vous vous croyez intelligentes. Regardez bien le bracelet et l'intérieur, bande de connasses!
- ASHLEY (me gifle) : la pute, elle a gratté le numéro pour qu'on le retrouve pas.
- MOI : Essaie-le, tête de rat!
Alyssa fronce les sourcils, et essaie le bracelet, confirmant une bonne fois pour toutes qu'elle est la propriétaire du bracelet! La conversation innocemment surprise dans la rue de ma fenêtre, c'était bien ça, Alyssa l'a prêté à son amie Ashley.
- ALYSSA : c'est pas le mien, elle a pas gratté, il est plus grand le sien, le métal a pas tout à fait la même couleur...
- ASHLEY : tu vois ça dans le noir, toi?
- ALYSSA : Ouais, je le connais bien, c'est mon cadeau d'anniv, je m'y connais en bijou... c'est le sien qu'elle a envoyé en photo à ses voisins, pas le mien... et la taille là c'est sûr...
- ASHLEY : c'est le boudin qui l'a agrandi!
- MOI : tu sais ce qu'elle te dit le boudin? À la petite pétasse qui fait croire qu'elle habite les quartiers chics alors qu'elle a déménagé à St-Ouen depuis des semaines et qu'elle vit dans une loge de concierge de HLM!!!
- ALYSSA : qu'est-ce qu'elle raconte la grosse?
- ASHLEY : hein quoi, mais comment tu....
- Alyssa me lâche, complètement défaite. Ashley bredouille et perd momentanément sa verve.
- ALYSSA : mais défends-toi, toi! Qu'est-ce qu'elle dit là...
- ASHLEY : de la merde comme d'habitude!
- ALYSSA : je le vois tout de suite quand tu mens...
- ASHLEY : mais...
- ALYSSA : t'as été expédiée en banlieue et tu me dis rien??? St-Ouen c'est trop la honte... c'est quoi cette copine?...
- ASHLEY : ben voilà tu vois le résultat, c'est pour ça que je dis rien!
- ALYSSA : on peut pas te faire confiance et comment elle est au courant la Bedaine?
- ASHLEY : j'en sais rien! et dis donc, toi, on peut pas te faire confiance non plus, je te rappelle le coup du Chris... (cf posts XXX)
- ALYSSA : c'est tellement pas pareil!
- ASHLEY : pffff, ben voyons, prends moi pour une conne!
- MOI : mais c'est ce qu'elle fait depuis le début... d'ailleurs c'est ce que tu es...
- ALYSSA : encore une fois c'est elle qui nous sépare...
- ASHLEY : je vais la buter l'espionne, la fouteuse de merde!
Ashley commence à me taper avec sa force de mémère, pas de quoi me faire mal, mais elle est violente et Alyssa la regarde faire, en me tenant un bras. Je tente de me défendre en me débattant de l'autre bras, mais ce n'est pas suffisant. Le Chien aboie, mais c'est pas suffisant non plus, ça va être ma fête! Et là j'entends une voie familière :
- Cassez-vous les pétasses! Touchez-la et je vous fourre l'une et l'autre la tête dans le caniveau!
- ASHLEY (stoppant ses petites tapes et murmurant à sa jumelle) : c'est qui celui-là, je le vois pas dans le noir...
- ALYSSA : c'est son voisin qui pue la sueur!
- ASHLEY : le geek crevette?
- ALYSSA : allez viens, la gueuse, on se tire...
Les deux Pestes me lâchent en même temps et je tombe le cul en arrière. Le Chien vient me lécher le visage. Et David, que je distingue enfin, leur hurle à la figure :
Ne revenez jamais lui chercher des noises, je vais péter un plomb...
- MOI (retrouvant mes esprits) : mon bracelet, elle a mon bracelet!
- ASHLEY (à Alyssa) : donne-le moi...
Ashley arrache brutalement le bracelet à Alyssa et le jette dans le caniveau. Je hurle de désespoir.
- ASHLEY : tu vois, c'est ça qu'il faut faire pour qu'elle sente la douleur!
- ALYSSA : laisse tomber...
- ASHLEY : je me demande pourquoi elle a une version identique de ton bracelet, je croyais que c'était un truc de valeur...
- ALYSSA (tout en s'éloignant avec sa jumelle) : c'est un truc de valeur, et c'est pas toi la menteuse de banlieue qui vit dans un taudis qui va me faire la leçon sur la valeur, tu me fais honte...
- ASHLEY : et toi la voleuse de copain...
Alors qu'elle disparaissent au coin de la rue, on n'entend plus que leurs chamailleries et les hausses de voix. Je sanglote et je renifle. Mon bracelet de Noël tombé dans les égouts m'achève. David vérifie si je vais bien... et je retrouve la force de lui parler :
- MOI : qu'est-ce que tu fais là?
- DAVID : pas important ça...
Il me rassure du regard.
- MOI (en pleurs) : il est dans les égouts maintenant, avec l'eau des chiottes...
- DAVID (hochant négativement de la tête) : attends-moi ici avec ton chien, je reviens dans dix minutes.
Il part en courant, et je chiale non stop, pendant que le Chien me lèche à son endroit préféré. C'est dégoûtant. Je le rejette. Il miaule. Oui je sais j'utilise le terme miauler, mais ça ressemble tellement à ce qu'il fait...
Même pas eu le temps de penser à plus que ça que David revient avec un attirail... Un manche à balai, un aimant...une pince, du fil de fer...je renifle comme une gamine...traumatisée de l'attaque. Perdue sans mon bracelet.
Une minute plus tard, David me tend mon bracelet noirci de crasse. Il ne sourit pas, ses yeux sont sombres et fuyants. Je le regarde, muette, sans expression puis je me jette sur mon bracelet, je souffle dessus pour faire partir la crasse.
Je relève la tête et il est déjà parti. Sans dire au revoir. Je suis rentrée chancelante, guidée par le Chien en grande forme, qui s'était repu du Pal, tout entier!
Toutes mes certitudes ce soir se sont effondrées. Tout ce que j'ai écrit samedi était faux quasiment : David, les Pestes, le bracelet sur l'écran de Yunso, le local poubelle, les tarots anonymes... Il faut toujours se méfier des faux-semblants. J'ai tellement tort! Rien n'est blanc, rien n'est noir. David est gris comme moi mais d'une nuance différente. C'est tout ce que je retiens.
Mon cerveau est sens dessus-dessous. Je me regarde dans un miroir. J'ai des griffures discrètes sur le visage. Je suis déstabilisée par cette soirée où tout a été remis en cause.
Je vais dormir, la nuit va me porter conseil. Je dois démêler ce sac de nœuds. Je dors avec mon bracelet.