Au Rialto, la Mamie est venue me retrouver et me parler des Feux de l'Amour :
- J'ai pas pu regarder aujourd'hui...
- Tu as pleuré je le vois.
- Non... presque pas.
- Pourquoi une belle jeune fille comme toi est si triste ? Une peine de cœur ?
- C'est la bonne-femme de ma famille d'accueil, elle me pousse à bout. Elle me révolte. Elle veut que je me contente d'être malheureuse. Et elle me souhaite de l'être encore plus.
- Une personne saine d'esprit ne peut pas souhaiter ça...
- Je me demande si c'est pas moi la méchante, ou bien la cinglée.
- Je commence à te connaître Sarah, et tu es loin d'être méchante ou cinglée...
- Je sais plus...
- Ne doute pas de toi... Il faut simplement comprendre pourquoi. Pourquoi cette dispute aujourd'hui ?
- Je sais pas... si peut-être... C'est mon anniversaire aujourd'hui...
- Non c'est pas vrai ? Ah je comprends alors que tu sois à fleur de peau. Viens avec moi, on va se déguster une petite pâtisserie. Ou deux.

Elle a fini par acheter une tarte au citron meringuée entière et on est allées la manger sur notre banc. On avait plein de meringue tout autour des lèvres et ça nous a fait rire. Puis elle a continué à me réconforter :
- Il y a bien quelqu'un avec qui tu souhaiterais passer cette journée ?
- Non...
- A ton âge, on a des amies... ou des petits amis...
- J'ai eu un ami...
- Il n'est jamais trop tard, crois-en la vieille maman et mamie que je suis...

Elle a posé son bras sur mon épaule, et nous avons scruté les passants, le regard tourné dans la même direction tout en nous goinfrant de tarte.

Elle est hypnotisée par son JT de 13 heures, elle doit être amoureuse de Pernaut. M'en fous, je me lance :
- Je voulais vous dire un truc.
- Je regarde mon journal, là.
- Je vois pas comment vous me donnez des leçons de vie...
- Tais-toi! J'ai le droit de regarder mon journal tranquillement non ?
- J'ai le droit de vous dire que vous racontez n'importe quoi.
- Sur quoi ?
- Sur le fait qu'il faut pas se plaindre. On a le droit d'espérer mieux.
- Lis la Bible ça te calmera un peu.
- Ouais c'est ça ! Donc en gros j'espère rien, j'attends la mort, je me complais dans ma merde, c'est ça qu'elle dit votre Bible ?
- Ça y est, tu vas m'apprendre la vie, toi... tu t'es vue ?
- Ben je pense que j'ai déjà pas mal vécu justement.
- Tu parles, t'es un bébé immature et capricieux. Une sale chouineuse. Tu verras quand t'auras connu le malheur. Je te le souhaite, ça te remettrait à ta place une bonne fois pour toute...
- C'est très digne d'une adulte de dire ça. Souhaiter le malheur des gens ? Et vous vous prétendez chrétienne... c'est ça votre religion ?
- Pfff... fais la fière, j'ai hâte que tu te casses la gueule dans ta petite vie. De toute façon, tu vas mal finir, comme tous les orphelins. Et j'en ai vu, fais moi confiance !
- Ben vous, vous avez déjà mal fini, votre Dieu, il vous a pas sauvée !
- T'as rien dans ta tête de moineau, t'as tout dans ta graisse...
- Vous, vous êtes desséchée, vous avez que la peau sur les os, vous bouffez plus que des salades, vous êtes morte !
- T'as qu'à te regarder dans un miroir, je t'envie pas, pauvre fille !
- Moi non plus je vous envie pas, vous chialez toutes les nuits sur votre cassette. Vous êtes un cadavre ! Et moi j'essaie de survivre à côté de vous. Je me demande si c'est pas vous qui l'avez tuée, votre fille, tout le monde crèverait à côté de vous...
Elle se lève brutalement, et tend la main, j'ai tapé là où ça fait mal et je le sais très bien...
- Viens que je te gifle, t'as besoin de te faire mater !
- Si vous le faîtes, je répète tout à Rondin, vous perdrez votre agrément, et je ruinerai votre réputation. Et puis je porterai plainte...
- Tu vas voir ce qui va t'arriver, d'ailleurs c'est déjà en train de t'arriver, tu vas être punie bientôt.
- Hein ? Quoi ? Pfff vous déraillez. Je vous hais, vous êtes odieuse, vous êtes une sorcière, vous êtes complètement tarée, une vieille folle cinglée.
- Toi t'es grosse, tu débordes de gras, tu suintes l'huile, tu respires le laisser-aller, t'es obèse, un sac de patates qui se laisse vivre sur le canapé. Et t'as pas de cervelle, t'es qu'un animal dans ta tête...
- Vieille pie, t'es hideuse, t'es ignoble, t'es démoniaque, je te vomis dessus.
- Vas-y largue ton venin, tu vas en chier sur Terre, je te promets !
- Tu me dégoutes la Vieille...
- Vas-y espèce de truie défoule-toi... casse tout !
- Ça vous ferait trop plaisir !
Non je vais pas lui faire ce plaisir. Mais la colère brûle mon visage et mes yeux, elle a l'air de se réjouir que je perde le contrôle.

J'ai foutu le camp dehors. Et j'en ai pleuré dans l'escalier. Jamais personne ne m'a parlé comme ça, mais je n'ai jamais parlé à quelqu'un comme ça non plus. Finalement avec Alyssa, ça n'est jamais allé aussi loin. C'est plus subtil, plus fin et surtout plus sain.

J'en avais envie, et je dois avouer que ça m'a fait du bien. Je lui ai dit ce que je pensais d'elle et réciproquement. Voilà c'est officiel on se hait. Et il n'y a plus grand chose à rajouter.

Même si j'en pleure dans la rue devant tout le monde, je me sens plus forte. Je m'assieds sur ses prédictions perverses pour rester polie. Elle n'aura pas ma peau.

Je me plains trop. Pourtant je ne suis pas SDF, je ne crève pas de faim (enfin ça se discute), je ne suis pas malade... la définition du bonheur quoi !

Enfin c'est c'est que la Vieille vient d'argumenter, toujours la première à donner des leçons, celle-là.

« J'en vois des gens misérables à la paroisse... toi t'as une vie de pacha ! T'es une princesse qui a besoin de descendre de son piédestal». C'est ce qu'elle m'a balancé en me voyant si abattue. Une fine psychologue...

C'est sûr que, si être heureux c'est être moins malheureux que quelqu'un d'autre sur Terre alors mon bonheur va être fulgurant !

Quelle sorcière ! Elle n'y connaît rien en bonheur, elle crève de tristesse depuis la disparition de sa fille. En plus, décrire le bonheur comme une comparaison avec quelqu'un d'autre, c'est d'une pauvreté...

« Je me contente de rien donc je suis heureuse ». Ah bah ça c'est sûr si t'attends rien, tu ne cherches rien, tu laisses la vie faire ce qu'elle veut, ta vie va être fabuleuse... et le bilan, le jour de ta mort, sera à la hauteur de tes attentes. J'imagine que cette vieille bique n'attend que ça, la mort !

A mon avis et j'en ai aucune expérience, le bonheur c'est par rapport à soi, et non aux autres uniquement. Ça n'empêche pas d'inclure les autres dans ce bonheur, mais pas en comparaison seulement... C'est du partage, pas de la comptabilité. Tout l'inverse de ce qu'elle me décrit. Après, ça reste très vague pour moi ce que j'écris... et ce qu'on met VRAIMENT dans le « panier » du bonheur...

Mon cadeau d'anniversaire c'est peut-être la Vieille : elle est là pour me faire comprendre ce qu'est le Malheur, ce que je ne dois pas absolument pas faire ni devenir !

Je vais aller lui dire ce que je pense. Elle m'agace trop. Je vais me faire un petit cadeau perso...

C'est dur d'avoir un anniversaire qui ne sert à rien. Seulement à me faire souffrir. Un anniversaire qui me rappelle que personne ne me le souhaite.

C'est vrai que personne ne sait que c'est mon anniversaire. Et qui le souhaite habituellement ? Les parents, les grand-parents, les frères et sœurs, les amis... ? Je n'ai rien de tout ça dans mon escarcelle...

« A taaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaable ! » Par contre j'ai cette vieille bique-là qui me ramène à la dure réalité et qui pollue mon quotidien. C'est l'heure de ruminer du végétal, un vrai repas d'anniversaire !

Cette nuit, je vais aux toilettes dans le noir. Et toujours par discrétion, je n'allume aucune lumière. Pendant mes quelques secondes de pause pipi, je sens quelque chose qui vient me frôler les pieds. Je sursaute et je pousse un petit cri. J'allume la lumière mais il n'y a rien de suspect.

Puis plus tard dans mon lit, je sens quelque chose qui se promène sur mon corps. Un truc froid et un peu collant... j'ouvre les yeux, et je vois un boa en train de se balader sur mon corps ! Je crie. J'allume la lumière, rien !

Puis au réveil alors que le soleil traverse les persiennes et dessine des traits de lumière dans ma chambre, j'entends des bruits venant du couloir, je vais vérifier... et un son étrange semble venir de la pièce secrète du fond. Je me rapproche par curiosité, j'écoute et là des choses gluantes viennent se balader dans mes pieds et une chose monte le long de ma jambe...Horreur c'est une vipère !

Je me réveille en sursaut !!! Ne sachant plus trop ce qui a été réel ou inventé par mon imagination nocturne.

Ma nouvelle idée fixe de trafic d'animaux exotiques a un peu envahi mes rêves...

Des cauchemars, ma journée d'anniversaire commence bien !

Dans quelques minutes commence la pire journée de l'année, et ça revient tous les ans. C'est une date pleine de mystères, de secrets enfouis à jamais. Peut-être que dans un an, cette date révèlera quelques indices. Mais en attendant elle se tait et me laisse dans l'ignorance.

Demain j'ai 17 ans.

0h01, aujourd'hui j'ai 17 ans.

Je m'ennuie tellement que tout est prétexte à distraction...

Un bruit dans la rue, le ronronnement du réfrigérateur qui m'appelle à l'ouvrir, le Chien qui veut se promener, une voix dans le couloir... et justement, un dialogue mystérieux sur le palier a attiré mon attention :
- Tu crois que ça va la satisfaire ?
- Oui ça va la calmer pendant un petit moment et je te remercie !
- Tu peux toujours compter sur moi...
- C'était sympa non ?
- Je suis pas sûr qu'on était très crédible...
- Tu parles, on a été parfait !

J'ai bien sûr reconnu les voix de mes voisins : Yunso et Marco. Et à mon avis ils reparlaient de leur petite accolade romantique d'hier. Ouf, c'était bidon ! Mais c'était pour qui ce show ???

J'ai comme l'impression que Yunso voulait plus y croire que Marco... Ça va mal finir cette histoire... Croyez-en la longue expérience de Tata Sarah...

Bon pour l'expérience, je repasserai. Mais je crois que Marco est très gay... et Yunso très amoureuse.... Et mes yeux ne me trompent pas !

Ma consolation aujourd'hui, ça a été de me remettre aux Feux de l'amour et d'aller en parler ensuite avec la Mamie au Rialto. Et on a eu une vraie conversation de fond :
- MOI : C'est quand même étrange que les deux bébés aient les mêmes prénoms, non ?
- MAMIE : Oui c'est une drôle de coïncidence.
- MOI : C'est pratique, quand la vraie mère piquera son vrai bébé à la fausse mère.
- MAMIE : Oui mais le bébé d'Ashley il a jamais existé...
- MOI : Pourtant elle est bien mère ! Alors que Sharon a perdu son vrai bébé et vit un faux deuil.
- MAMIE : C'est terrible...
- MOI : C'est l'hallu totale.
- MAMIE : Mais pourquoi donc déjà ?
- MOI : C'est Adam qui veut se venger de Victor...
- MAMIE : Mais je vois pas comment...
Même les Feux de l'amour s'embrument ces derniers temps : c'est comme moi avec mes révisions...

Une discussion ubuesque, certes. Mais la Mamie ne perd pas le fil. Son cerveau marche encore. Tout ce qu'elle me dit sur le bracelet est une vérité à un moment donné, à moi de recoller les morceaux...

Mais pour l'instant il me manque quelques morceaux de puzzle et ça s'emboite difficilement.

J'ai comaté devant la télé toute la journée...

Plus je me sentais coupable de ne rien réviser, plus j'avais envie de rester sur le canapé. Plus je pensais à David, mon ex-meilleur ami (euh mon ex-seul ami), plus j'avais envie de m'enfoncer au plus profond de mon canapé.

Le Chien soupirait de temps à autre à mes pieds me rappelant que j'étais encore dans la réalité et pas de l'autre côté du petit écran.

A un moment je suis tombée sur un reportage sur des trafic d'animaux exotiques en région parisienne. Et ça m'a donné une idée... et l'énergie de me lever pour aller sur mon faux ordinateur-tablette...offert par David.

Mon idée n'a rien donné, mais la pensée de mon ami en train de réviser avec tous ses potes de S et tirant un trait sur moi me rend bien triste. J'étais bien mieux sur mon canapé.

Cette idée que j'ai eue ? Hé bien je me suis imaginé que l'odeur de ma chambre était une odeur d'animal exotique enfermé dans la pièce du fond ! C'est pas inimaginable non ? Mais j'ai rien trouvé de probant sur l'odeur.

Un sursaut inutile...

Je viens de me réveiller, après un long sommeil de 12 heures.

J'ai lu que les gens extravertis avaient un sommeil plus court que les gens introvertis. Pas besoin de me demander dans quelle catégorie je suis...

Je me pose devant ma fenêtre avec des annales de bac de français qui ne me passionnent pas... Je me dis qu'en jetant un œil dehors de temps à autre j'arriverai à mieux digérer tout ce conformisme qu'on tente de nous rentrer de force dans le cerveau. C'est un carcan vide de sens. C'est ce qui me vient tout de suite à l'esprit quand je pense à toutes ces règles qu'on doit respecter : l'introduction, la thèse, l'antithèse, la synthèse, la conclusion, le tartinage de copie doubles, la prime à la quantité, les genres littéraires et le petit jeu du « quel genre va tomber cette année ? ». On nous teste pour savoir si on peut vraiment obéir, se soumettre à une loi qui n'a aucun sens. Et plus on se soumet aux règles, plus on a une bonne note. Tu sais rentrer dans un moule sans broncher, tu auras ton bon point. C'est pour voir si on pourra rentrer dans le rang plus tard en bon mouton. Et le bac sera un passeport pour la bergerie ! C'est terrible !

Tiens, Yunso passe avec Marco, bras dessus bras dessous.

Ce n'est pas parce que tu es doué pour te fondre dans le moule que tu vas être doué pour la vie ! Parce que le jour où la bergerie s'effondre à cause d'un coup de vent, tu vas où ?

Tiens, ma kiné vient de passer, elle fait un signe de la main à quelqu'un. Elle s'engouffre dans le Rialto. J'ai pas été discrète, je me suis penchée par la fenêtre à m'en couper le souffle.

Je me demande si le bonheur est dans le moule industriel dans lequel on veut nous faire rentrer. Évidemment dans le moule on se sent soutenu par le groupe et son approbation. En dehors du moule, on se sent libre mais seul. Je pense qu'à un moment dans sa vie, il faut choisir une des deux voies : tu suis la voie de la société dans une certaine sérénité ou bien tu la rejettes au nom de ton intégrité au risque de te sentir à ton tour rejeté.

Tiens Marco et Yunso repassent, toujours en se tenant par la main...Saperlipopette, boudiou, nom de Zeus, ils viennent de s'embrasser sur la bouche!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Bon c'était fugace. Mais ils avaient l'air d'être un couple...

Je comprends plus rien ! Une minute plus tard ils se sont décollés l'un de l'autre, et ont retrouvé leur distance. Je suis perplexe... je suis sûre d'avoir vu Marco embrasser Kevin l'ex d'Alyssa sur mon palier une nuit... (cf posts dans la nuit du 31 mars puis révélation du 4 avril).

Alors la question est : à quand cette croisée des chemins entre la vie confortable écrite par d'autres ou la vie pleine de risques et d'incertitude écrite par soi-même ? Aujourd'hui ? Demain ? A dix-huit ans ? Le jour du mariage ? Le jour de la retraite ???

Bon sang, mais le paparazzi est revenu ! Et il est en train de photographier mon immeuble ! Et il a l'air de viser vers moi. Si j'étais une star, je croirais qu'il vient pour moi !

Bon, toute cette activité dans la rue perturbe mon raisonnement. Depuis tout à l'heure j'essaie de réfléchir à un sujet de dissert' que j'ai trouvé dans les annales. Ça parle d'intégration ou d'aliénation au groupe... J'ai tout mélangé : la dissert', le dégoût du bac et les petits événements de la rue. Ça promet le vrai jour du bac.

Ma cervelle part tous azimuts entre surveillance de la rue et l'obédience scolaire tournée vers l'obligation de résultat !

Han comme je me la pète avec tous mes termes intellos ! Faut surtout pas que je prenne la dissert', commentaire de texte ou rien ! Je comprends plus rien à ce que je viens d'écrire, vous avez compris vous ???

Hop les annales à la poubelle, la fenêtre refermée, direction la télé !!!