Ces deux heures à la section décor ont été mémorables, mais quand je tente de tout me rappeler, finalement peu de choses me reviennent.
La réunion a lieu dans l'auditorium. C'est un capharnaüm bruyant. Le rideau est fermé, et à l'avant de la scène et sur les premiers strapontins se réunissent les comédiens. Puis derrière le rideau, se réunissent les décorateurs, accessoiristes, etc... (ce qui signifie que je ne sais absolument pas ce qu'on est censé faire en coulisses).
Dans le groupe des « stars » ils étaient une dizaine, tous exubérants, tous complices, et tous indifférents aux « anonymes » comme moi qui passaient derrière le rideau.
Une fois dans ma troupe de seconde zone en coulisses, je retrouve la Peste déjà là en mode bras croisés, snobage au max, les fesses sur une malle. Genre « je suis trop bien pour être ici, parmi vous, bande de gueux ». Et le message est loin d'être subliminal : ça soupire, ça râle, ça lève les yeux au ciel, ça hausse les épaules, ça se tortille les cheveux avant de les lisser puis les retortiller. Un spectacle insoutenable de mépris.
Elle était accompagnée de quelques geeks jamais rencontrés dans cette école.
Mais je n'étais pas au bout de mes surprises. Avec quinze minutes de retard, débarque la prof d'Arts Plastoc! Elle toussait, elle se mouchait, bref son absence de mercredi semblait justifiée! Mais elle préférait sécher son cours qui compte au bac plutôt que son atelier de décors qui compte pour du beurre.
Puis certaines stars ont commencé à faire des vocalises à l'avant du rideau, puis à chanter. Et ça avait l'air pro. Mince, je comprends que la représentation de juin 2013 sera... une comédie musicale!
Ça va pas être de la tarte de se coltiner toutes ces castafiores.
La prof commence un petit laïus : « je suis ravie que notre petit groupe s'agrandisse aujourd'hui, avec des têtes que je ne connais pas, ça tombe bien nous manquions de volontariat ».
Sait-elle que nous sommes là de force? Sait-elle que je fais partie de son cours du mercredi? Sait-elle qu'elle passe son temps à se tromper de prénom?
« Alors on m'a dit qu'il y avait les techniciens lumière et son ». Les geeks lèvent la main mollement! Ouh ceux-là non plus ne sont pas joyeux d'être là.
« Et puis il y a des filles pour les décors ». Je lève la main, suivie par l'effort considérable du petit doigt d'Alyssa. On n'est que deux? La honte!
« Parfait je suis toujours contente de faire connaissance avec de nouveaux élèves motivés ». Sa phrase ne témoignait que d'une seule chose, sa naïveté!
« Cette année vos petits camarades vont chanter et danser dans une merveilleuse comédie musicale que je n'ai pas choisie, mais qui plaira au plus grand nombre, Notre Dame de Paris ». Là il y a eu une pointe d'ironie. Et mes compères de punition ont lancé quelques « ringard! ».
Évidemment à ce moment-là, une « star » s'est mis à brailler « Belle, c'est un monde qu'on dirait inventé pour elle... » puis un autre « Il est venu le temps des cathédraaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaales ». Si à l'évocation du titre par la prof rien ne me revenait, là tout était plus clair. Et la prof se boucha une oreille.
A mon avis les décors vont être beaucoup moins classiques et consensuels que le choix de la pièce... Sais pas pourquoi. Alyssa a mis sa tête entre ses mains, voilà un vrai désespoir authentique sur sa tête d'hypocrite.
Puis la prof est partie dans des monologues interminables sur l'importance des acteurs en coulisses « sans qui rien ne serait possible », ce qui me rappelait étrangement les cérémonies de remise de prix. Bref de quoi se persuader que les « Stars » sont ceux qu'on ne voit pas.
Mais bizarrement, alors qu'on s'attendait à ce que cette folle reste très théorique et bordélique, elle a sorti des croquis de projet de décor, de lumière, et de son. Et elle a fini par dire aux geeks qu'ils devraient à la fois travailler avec nous et avec les chanteurs, double peine! Mais qu'ont-ils fait pour en arriver là?
A nous les filles, elles a demandé de faire des recherches sur le « carton-pâte ». Mais qu'est-ce que c'est que ça? Alyssa n'écoutait pas, mais je ne voulais pas décevoir cette prof plutôt passionnée et bienveillante avec moi, même si elle ne me reconnaît pas!
Il était 18h30 déjà! Je suis partie mais j'ai bien vu, avant de refermer la porte de l'auditorium, Alyssa s'asseoir dans la salle pour observer les « stars » avec envie. Avec jalousie? Même dans sa punition, elle veut briller comme une étoile! Alors que moi je ne demande qu'à me fondre dans le « décor »!