DIMANCHE 4 NOVEMBRE 23h55
Je porte beaucoup le blouson de David. Et j'ai en stock son 06 qu'il m'avait donné le jour du rendez-vous au cas où. Alors je me suis décidée à lui envoyer un sms de remerciement : « Hello, blouson très bien, merci beaucoup. Sarah »
Et puis je me suis dit que c'était pas assez. Qu'il fallait que je lui offre un coca, un mcdo ou un truc du genre. Et puis je me suis dit que j'avais droit qu'à 60 SMS alors il fallait que je fasse attention. C'est terriblement con ce que je viens de dire : je n'ai aucun contact à qui envoyer 60 SMS. Mais au moins que je remplisse bien à fond les 165 caractères et fasse passer un maximum de choses. Alors j'en tape un 2ème une heure plus tard : « Tu fais quoi le reste des vacances? Tu avances sur les dissert' ?»
Ai-je bien fait passer tous les messages que je souhaitais transmettre? Est-ce qu'on peut bien y lire mon invitation au McDo... Ben voilà c'est mon problème il y a toujours un décalage entre ce que je veux dire et ce que je dis vraiment.
De toute façon c'était en milieu d'après-midi et il ne m'a pas répondu.
J'hésite encore à effacer les messages envoyés et le répertoire qui sont dans le tel. C'est un peu ridicule. Et puis j'ai réfléchi, ce sont peut être aussi des messages qui sont sur la puce. Je me suis décidée à aller voir ce qui se passait à côté. Visiblement il y avait de l'électricité dans l'air : Marco boudait dans le salon et Kamil s'est enfui en me voyant arriver. Ou alors c'est la conversation d'hier qui a laissé des traces et je ne suis pas la bienvenue?
Marco était au bord des larmes. Il regardait dans le vide l'œil vitreux. Je dérangeais, je pense. Je ne savais pas comment réagir. Je lui ai demandé s'il allait bien en bredouillant. Sa réponse a bien mis 10 secondes à sortir, 10 secondes d'éternité lourde :
- Ça peut aller, je suis un peu déçu en ce moment mais ça va.
- T'as l'air pas bien.
- Non tout va bien, t'inquiète pas, vas-y utilise l'ordinateur.
Comme je ne sais pas communiquer, je l'encourageais à parler du regard. En vain. On ne raconte pas sa vie à une inapte de la vie comme moi.
- Je voulais pas vous déranger, j'ai pas besoin de l'ordi, je passais pour te remercier pour le téléphone
- C'est rien il est en fin de vie...
- Et pour la puce c'est un super coup de pouce. Justement je voulais savoir si je pouvais effacer tout ce qu'il y avait dans le téléphone?
- Ah bon il reste des trucs? Je sais même plus à qui il a appartenu, j'ai récupéré tous les téléphones à recycler de ma famille et d'ici.
- Il était pas à Yunso? on dirait un téléphone de fille.
- Non j'en suis sûr.
- Et la puce y'a ptet des trucs dessus aussi?
- Elle a dépanné Kamil je crois, puis moi pendant quelques jours. Moi j'ai tout vidé enfin je crois.
Bref, je ne suis pas plus avancée. Sauf que c'est pas Yunso. Et j'arrive pas à voir ce qui est sur la puce ou dans le tel.
J'ai refouillé les messages envoyés et il y en a un qui a attiré mon attention et qui avait l'air plus rédigé que les autres : « Je veux pas qu'on te voie. Arrive vers 3h du matin. Tu me sms. On va s'éclater gars, j'ai trop envie. Trop longtemps qu'on en parle. Mmmh je suis chaud, c'est volcanique sous la ceinture... »
On va s'éclater heu en jouant aux jeux vidéos? En faisant la cuisine? En jouant au tarot? Je suis pas idiote. C'est d'un type à un autre type. C'est donc comme ça qu'on se parle entre garçons.
Je ne sais pas si je suis gênée ou si je m'en fous. Conclusion : il faut toujours jeter son portable sous peine de partager sa vie privée avec le futur propriétaire de l'objet.
Ce sms fait clairement tache avec le reste qui est assez nunuche, presque débile. Genre des textos pour rien dire. « je suis là », « je suis en bas », « j'arrive ds 5' », « bouge tes fesses pétasse ». Ah non tiens celui-là il est moins cucu.
Je me sens un peu voyeuse, une curiosité malsaine, un besoin de vivre par procuration. Et aussi de faire joujou avec un portable. Ça m'a manqué de ne pas avoir ma petite connexion sur le monde. Même s'il y a nobody dans le carnet. C'est le possible qui est excitant, pas le réel immédiat.
Tout ça me refait penser à la manière dont j'ai perdu mon premier petit portable. C'était pas un tactile, simplement un petit bidule à 1€ qui m'avait donné l'impression de rentrer dans la cour des grands. Mais j'ai vite réalisé que j'étais limitée par rapport aux autres, je pouvais pas surfer comme tous les branchés. J'ai pas gardé longtemps l'illusion que j'étais branchée, au contraire, mon ptit mobile m'a immédiatement fait comprendre que j'étais déjà ringarde.
Mais il aurait pu durer quelques mois de plus. Il est mort écrasé et brisé en mille morceaux. Comme moi. Je crois qu'il faut je revive ce moment, que je couche sur papier tout ce poids qui m'est tombé dessus et qui a duré des mois.