Je suis une vraie commère. Mon emplacement, c'est-à-dire ma chambre et sa fenêtre sur la rue, est hautement stratégique. Et ma première victime est Alyssa qui ne cesse de se pavaner :
- un coup avec Ashley
- un coup avec son petit ami à la tête d'ange en pleine galoche party!
- un coup avec son sac de shopping fashion
- un coup en sortant de chez le coiffeur : mince elle a les cheveux plus longs qu'avant d'y aller
- un coup avec une vieille dame, sa grand-mère?
- un coup avec sa mère on dirait, je l'ai déjà vue au bar, la dame...
- un coup toute seule et elle se tourne vers mon immeuble et l'observe de haut en bas, je me cache mais je continue à l'observer discrètement. Je ne suis pas sûre qu'elle sache réellement à quel étage j'habite mais ce regard sombre indique clairement qu'elle sait bien que je suis dans les parages.
- un coup avec ... Marco, puis ils se saluent!! La barbe, ils se connaissent... Tout le monde se connaît dans ce quartier.
C'est vrai que pour l'anonymat c'est pas gagné par ici. Le fait qu'elle envahisse mon territoire me contraint à me terrer dans ma chambre. C'est ridicule, j'ai peur de tomber sur elle. S'il est vrai que je me défends un peu mieux, je ne suis pas toujours prête à dégainer et à sortir le bouclier face à un tel dragon.
Cette fille est quand même aussi méchante qu'elle est belle. Je la déteste de plus en plus : ses horribles cheveux soyeux, bouclés, négligemment jetés sur ses épaules, son visage atrocement parfait, fin et dessiné, son sourire forcé couleur blanc post-Ariel (et oui elle doit se laver les dents avec un produit d'entretien , du Sun peut-être?), sa taille de guêpe modèle anorexique que tous les mecs reluquent sans scrupule. Tout est trop magnifique chez elle et elle le sait trop bien, ça la rend puante de confiance, de séduction, elle a tout déjà et peut obtenir tout ce qu'elle veut par son charisme, son physique, son énergie. Et puis elle sort vraiment avec le plus beau garçon du lycée. Sauf qu'elle n'est pas devenue déléguée de classe! Et toc!
A côté d'elle, je suis une tarte écrasée, une patate transgénique, un sac de viande faisandée, un mollusque englué dans le pétrole, une limace à l'agonie... mmmh je m'inspire moi-même.
Ce que je ressens, c'est du dégout et de l'envie en même temps. Elle représente tout ce que je déteste chez une fille et au fond de moi une petite voix diabolique l'envie à en crever. Et cette envie cachée attise encore plus ma haine. C'est un cercle vicieux. Peut-être l'aurais-je détestée même si elle n'avait pas lancé son dévolu pervers sur moi.
Je comprends pourquoi je la hais, mais pourquoi, elle, me déteste-t-elle? Ça ne peut pas être l'envie, ça c'est sûr... Pourquoi cet acharnement? Je ne vois pas, je dois rechercher.
Tiens, la Peste repasse avec un énorme smartphone qu'elle a dû s'acheter. Ça me fait prendre conscience que je suis une des seules filles à ne pas avoir de téléphone portable à l'école. C'est obligatoire pour passer la moyenne de l'échelle sociale et pas suffisant non plus pour être au top. Moi j'ai toutes les tares : si au moins je pouvais être une grosse moche avec un téléphone à la main, je pourrais récupérer quelques points. Je suis à zéro, je pars de -10, ho hisse matelotte!