J'ai dormi presque 13 heures cette nuit. Comme si je relâchais toute la pression. Comme si j'étais soulagée de m'être séparée du bracelet. C'est vrai que ça ressemble à un coup de folie. Mais je me sens libérée, je n'ai pas l'once d'un regret. J'ai une envie furieuse d'avancer.

Il vient de se passer un truc étrange. Je me suis levée pour aller aux toilettes mais ma porte est bloquée, il y a un truc derrière qui bloque le passage. Je suis enfermée avec le Chien !

J'appelle discrètement à l'aide mais on ne me répond pas. Effectivement il y a un peu de boucan dans le couloir. Des trucs lourds qui ont l'air de glisser. Je tente d'ouvrir à nouveau... que dalle j'espère que ça va pas durer toute la journée !

Et le pauvre Chien qui est enfermé avec moi...

Il était 18h22 à la pendule... il n'y avait plus grand monde, Paola débarrassait et m'a vue sur ma chaise en train de manger une dernière crêpe :
- Ben t'es encore là toi ?
- Oui je voudrais t'offrir quelque chose...
- Un cadeau, j'adore les cadeaux...
Il résiste puis s'en va soudainement tout seul de mon poignet...
- Non... pas ça Sarah !
- Si, tu sais tout ce que ce machin m'a fait faire... tu en prendras soin plus que moi...
Elle qui était si euphorique durant cette fête se met à chialer comme une madeleine... et moi aussi. Elle met le bracelet à son gros poignet, il passe...
- Il me va bien... ?
- Il est à toi...
Elle me prend dans ses bras puis abrège la séparation :
- J'ai horreur de pleurer. J'aime pas les adieux et là ça devient trop... Alors je vais m'en aller... ce qui reste est à toi !
- Hein tout ça ?
Elle est partie en courant en me laissant tous les trucs à manger, une dizaine de crêpes, des pots de pâte à tartiner et un gros sac Franprix pour porter tout ça... de quoi noyer mon chagrin !!!

Adieu Paola. Adieu ALOAP...
Adieu maudit bracelet...

Quelqu'un vient me toucher les hanches pour me faire sursauter volontairement. C'est enfin Paola :
- Tu vois, je t'avais dit que je faisais partie du même club, mais on peut aussi se faire belle...
- Le même club ???
- Tu comprends très bien...
- J'ai compris cette nuit... cet après-midi...
- Oui j'ai tout lu, je suis émue que tu aies su me décoder, je ne voulais pas le faire, te dire que je te lisais... je ne voulais pas orienter ton comportement avec moi...
- Mais depuis quand...?
- Depuis le début, Sarah...
- Mais comment avez-vous trouvé mon blog...
- J'ai commencé à le lire sur papier tu sais... tu te souviens du mot...
- HAN ???????????????????????????????????????? Le club... le mot du cahier ????????
- C'est moi qui ai mis la main dessus, tu l'avais oublié sur ton plateau, je l'ai parcouru au début puis j'ai été prise, j'ai tout lu, mais je devais le rendre, c'était la condition que tu avais posée à ton blog et à toi-même pour le continuer...
- Je me rappelle de tout oui... (cf posts du 14 septembre et 17 septembre)
- Je voulais continuer à suivre ta pensée, je me souvenais bien de ce que j'avais lu et j'ai cherché sur google « grosse », « moche » et j'ai vite trouvé car tu ressors en n°1 !
- Alors le traquenard des filles... le mot... ?
- Non le mot faisait pas partie du traquenard, ma fille! Mais je pouvais pas te le dire, je savais pas qui tu étais. Et puis quelle importance à ce moment-là...
- Je suis désolée de vous avoir mal jugée au début...
- Comme tout le monde ! Mais tu m'as vite vue autrement même si tu me connaissais pas. Moi je te connaissais mais je savais pas à quoi tu ressemblais au début...
- Et comment avez-vous su ?
- Tu te souviens qu'on a partagé un moment très végétal...
- Han ???????????? la macédoine...
- C'est là que j'ai compris qui tu étais, j'ai fait le rapprochement... Mais ça s'arrête pas là. Dans la macédoine j'ai trouvé quelque chose ce jour-là. J'ai mis du temps à comprendre car je te lisais pas encore tous les jours à l'époque.
- Quelque chose ...?
- Oui, ce quelque chose qui comptait pour toi... et je savais pas comment le rendre sans me faire démasquer...
- Non... (je me décompose et je comprends TOUT!) le bracelet... ?
- Oui c'était mon cadeau de Noël, cette foule à la fête de Noël a été le moyen parfait de te le rendre sans me montrer... et j'étais tellement heureuse de ta réaction sur le blog.
Je suis en larmes, bouleversée de la tête aux pieds... Elle me prend dans ses bras... C'est un moment fort.
- Je savais que tu réagirais comme ça. C'est le bon moment pour que tu saches, mes boulettes t'ont mise sur la voie et j'en suis presque contente. On peut tout se dire maintenant que je pars... mais moi je te quitte pas... je te lirai tant que tu écriras. Je me retrouve en toi comme toi tu as écrit te retrouver en moi. Mais toi, tu as tout l'avenir devant toi Sarah... Et écoute les messages d'encouragements sur ton blog ils ont raison. Et je te le redis, tu es beaucoup plus combative que tu ne crois, beaucoup plus mûre... Et ton blog est délicieux...

On ne m'a jamais parlé comme ça... je dois m'asseoir. Ça fait rire Paola qui me met dans un coin et m'apporte une crêpe avec le pot de Nutella tout entier:
- Comme ta Vieille te nourrit pas, lâche-toi !

Puis elle a été dévorée par la foule qui la voulait comme une star. Tous ces gens qui ont su lire au-delà de son sale caractère. Je me souviendrai de ce moment, de cette journée, de cette révélation encore longtemps.

Et je pense que mon rêve de la nuit dernière est un signe. Paola m'offrant un troisième bracelet que je refuse... Paola qui se vexe... Moi qui lui cours après...

Mon bracelet n'a plus rien à m'apprendre, et il m'a rendue complètement folle ces derniers mois. J'ai fait trop de bêtises pour lui. Je pense que je dois tourner la page... et je dois inverser mon rêve.

En dix minutes la salle s'est remplie... On n'est pas dix comme prévu, mais cinquante ! Paola a du succès comme jamais et je ne peux pas lui parler.

Il y a la prof d'arts plastoc, les geeks, la fille qui joue Fleur de Lys, des grosses, des moches, mais aussi des gros et des moches, et des tatoués, mon Tatoué, des maigres, des gens bizarres... Un ghetto de marginaux comme moi, beaucoup plus nombreux qu'on ne croit. Je suis euphorique en voyant tout ce petit monde qui sourit, qui me sourit... qui m'aborde gentiment.

Je réalise peut-être que je fais partie d'un club plus fourni que je ne croyais... la partie invisible de l'iceberg, la minorité invisible... qui est peut-être finalement la majorité ????

Mais Paola, viens me parler s'il te plaît, j'ai des choses à te demander ! Elle est adulée, elle s'est maquillée et habillée correctement (enfin pas à mon goût, faut pas exagérer). Je suis trop émue là, faut que je mange, Nutella à la crêpe (un peu de crêpe).

Il y a personne, je suis triste pour elle. On va se retrouver que toutes les deux. Pourtant elle a fait les choses bien, il y a du cidre doux, des canettes de coca et des crêpes avec du Nutella, de la crème Spéculoos et du sirop d'érable... Je pourrai tout manger, pas de problème pas de gâchis !

Le pseudo qui m'a envoyé ce petit message (« Je t'ai lue, tu m'as réconfortée, n'abandonne pas.») le 3 décembre 2012 à 17h33 parmi les tous premiers c'est Aloap...
Aloap ? Bon me voilà pas plus avancée... j'écris ALOAP sur mon blog... en gros et en gras ALOAP
et je réfléchis. Allez je vais tout éteindre et je vais là a fête lui dire adieu.

Je vois le reflet de l'écran de la tablet du pseudo ALOAP en gros dans la vitre qui est derrière moi... ça ressemble vaguement à... PAOLA...

ALOAP = PAOLA ???

à l'envers !!!!!!!!!!!!! Mais oui. Non ? C'est moi qui suis folle ? Ça expliquerait pourquoi elle semble connaître tant de choses sur moi comme si elle était plus lucide que moi sur moi-même.

David me voit et me demande ce que j'ai : « je viens de comprendre quelque chose, c'est énorme, mais je peux pas t'expliquer... » Je vais pas le mettre sur la piste de mon blog quand même.

J'ai été troublée toute la journée, même David n'a pas réussi à me faire sortir de ma coquille. En plein cours je réfléchissais à tout ça, à ce que Paola voudrait éventuellement dire entre les lignes, volontairement ou inconsciemment... Peut-être qu'elle ne veut rien dire du tout. Mais il y a quelque chose qui me gêne, qui m'intrigue... et mes rêves ces derniers jours qui me renvoient tous sur Paola.

Qui m'a envoyé ce fameux message sur le blog déjà ? Quel pseudo ? Faut que je regarde ça avant d'aller à sa fête.

Je me suis encore réveillée en sueur. Un rêve dans la tête : Paola m'offre un bracelet qui ressemble aux deux autres et je le refuse en lui disant que j'en ai trop. Et elle tente de m'expliquer pourquoi je dois l'accepter et elle répète « n'abandonne pas, je te l'ai répété mille fois, à l'oral, à l'écrit... ». Et après elle se vexe et je lui cours derrière en vain. Un truc frustrant.

A l'écrit ? M'a-t-elle déjà écrit ? Non elle m'a jamais dit ça, c'est mon imagination.

Mais si... en relisant le plus long échange que nous avons eu en 6 mois qui a eu lieu aux toilettes des garçons (cf post du 21 février), je retrouve cette phrase :

- MOI Ben je voudrais vous dire de pas abandonner comme vous me l'avez dit plusieurs fois...
- PAOLA C'est vrai ça...oui c'est vrai, je te l'ai répété, à l'oral, à l'écrit... et je suis pas foutue de l'appliquer à moi-même... Mais je suis dans la merde... je suis virée !

Je vais faire une recherche dans mon blog sur « n'abandonne pas »... CTRL F (heureusement que j'ai un clavier avec cette tablet!).

Et je retrouve deux fois où on me l'a dit texto :

- Cf mon post du 17 septembre 18h30, le mot qui était manuscrit dans mon cahier pré-blog après l'avoir retrouvé : « Je t'ai lue, tu m'as réconfortée, n'abandonne pas. Je fais partie du même club, grosse et moche comme toi ». Le piège idiot tendu par les Pestes ! Vraiment ?
- Cf mon post du 4 décembre 13h25, un message laissé en ligne sur mon blog : « Je t'ai lue, tu m'as réconfortée, n'abandonne pas.». Un message parmi d'autres ?

Tout ça est troublant. Et je ne peux plus dormir.

J'étais en plein déprime en atelier décors. Je me laissais bercer par les chansons ringardes qui commencent à prendre vie. Les chanteurs s'améliorent doucement. Alyssa est brillante, évidemment. Et la fille qu'elle a éjectée et qui est devenue Fleur de Lys, elle ne s'arrange pas. Elle s'éteint au fur et à mesure qu'Alyssa brille.

Je construis des vitraux, et des gargouilles en polystyrène. Un monde fantastique et mystique où je suis seule.

Et là j'entends une grosse voix qui parle. Je la reconnais encore une fois. C'est Paola ! Mais qu'est-ce qu'elle fout là ? Elle discute avec la prof d'Arts Plastoc, elles se connaissent ???... Et elle vient vers moi :
- Hé toi, la bricoleuse ! Tu viens demain à ma fête !
- Hein quoi quelle fête ?
Elle m'imite alors pour se moquer de moi :
- Hein quoi quelle fête !
- Je ressemble à ça ?
- Mais non, quelle Cosette celle-là ! Tu viens à ma fête et puis c'est tout. C'est au réfectoire à 16h45, on sera une dizaine.
- Moi aussi ?
- Quoi toi aussi ? Mais qu'est-ce que t'as aujourd'hui ? T'es toute retournée !! Je vais te secouer moi tu vas voir...
Je me revois en train de l'aider dans les toilettes pour garçons l'autre jour. La situation s'est inversée :
- J'oublierai jamais ce que t'as fait pour moi... Allez à demain ! Sans faute hein ?

Ce qu'elle me dit n'a pas toujours de sens... Qu'est-ce que j'ai fait pour elle ? C'est sûrement pas mes 5 minutes de soutien aux toilettes !

Il y a eu sa phrase de mardi après le nettoyage de la cantine : « tu me la donnes tous les jours, la pêche. » Comment je peux faire ça? On se croise seulement, et de moins en moins.

Et puis je repense à ses mots de jeudi dernier aux toilettes: « T'es bien plus forte que tu crois ma fille, tu le démontres chaque jour, j'ai jamais vu ça, une fille comme toi, t'es bien plus combative que moi. » (cf post du 22 février) Comme si elle croyait me connaître ou m'imaginait.

Et puis ses mots d'encouragements qui sont revenus sans cesse :
- cf mon post du 11 janvier 2013 « n'abandonne pas, n'abandonne jamais »
- cf mon post du 17 janvier 2013 « n'abandonne pas non plus »

C'est comme un leitmotiv (j'ai appris le terme en cours ça fait très classe de l'employer) qu'elle me renvoie sans cesse.

Je vais me laisser emporter par le sommeil là-dessus.

Pas de Paola aujourd'hui. Elle est peut-être déjà partie. Comme un signe, la petite table à côté du tapis des plateaux vides, qui a été mon refuge jusqu'à l'événement de la macédoine est revenue. Aujourd'hui, il y avait ni David, ni geeks pour manger avec moi. Alors j'ai repris ma table de paria et bouffé les yeux dans le vide. La vie est un éternel recommencement.