J'ai rêvé encore cette nuit. J'ai un sommeil très chaotique, j'imagine que je dois digérer tout ce qui m'arrive en ce moment : ma boulette auprès des Voisins, la brouille entre nous, téléphones et ordi envolés et mes seules connexions sur le monde avec, le bracelet volé revolé, l'appartement sens dessus-dessous, les intrigues des Vieux, cette salle vide enfin dévoilée dans mon couloir, la disparition de l'odeur tenace dans ma chambre... et j'oubliais... même si je ne devrais pas être touchée par quelque chose comme ça... par quelqu'un que je connais pas... le départ sans espoir de Paola.

Elle va nous quitter, sans se faire remarquer, sans dire au revoir. C'est ce dont j'ai rêvé cette nuit. Que je lui courais après mais qu'elle s'en fichait. Je me suis attachée, non ? Je comprends pas pourquoi... elle doit à peine se souvenir de moi. Mais elle m'a passionnée. Comme un objet d'étude et d'observation au début, puis comme un être humain caché dans un costume de monstre. Il faut vraiment que j'arrive à lui dire un petit mot d'adieu. Je la reverrai sans doute jamais. Je dois marquer le coup !

Toujours les angles et les perspectives en arts plastiques et ça ne prend pas sur moi, la prof me délaisse comme mes Voisins de palier !. J'ai eu ma petite heure de gloire dans ce cours mais je n'ai pas su l'apprécier. Si ! Elle m'a quand même dit un mot... ou bien c'était à tout le monde...je ne sais pas trop, elle était dans mon dos : « C'est plat, complètement plat, et les angles sont ronds ! Hé oui c'est dur de rentrer dans une figure géométrique, c'est pas donné à tout le monde ».

Je n'ai jamais attaché d'importance aux compliments, normal j'en avais pas. Mais une fois qu'on y goûte, on devient vite accro, puis on n'attend plus que ça. Et le jour où ça s'arrête c'est le drame puisqu'on est devenu dépendant. Il vaut mieux ne pas connaître le succès car on ne sait plus vivre sans !

J'ai parlé du bracelet volé-revolé à David en duo au déjeuner et voilà sa réaction : « comment cet immonde babiole en ferraille de recyclage a pu intéresser des voleurs dignes de ce nom ? »

J'ai dégluti. Il s'est vite rendu compte de sa bourde... oui la copie du mien est peut-être plus moche mais bon elle lui ressemble beaucoup ! Et il m'a acheté un pendentif pour aller avec...

Il ne savait plus comment se rattraper : « Non mais... tu me comprends... le tien il est en beau cuivre... » Ben c'est quand même une vulgaire copie d'une œuvre d'art suisse !

J'ai rêvé que les voleurs de bracelet venaient me chercher la nuit et voulaient me piquer MON bracelet mais ils y arrivaient pas, alors ils sortaient une scie... J'ai trempé mon lit... non j'ai pas fait pipi, c'est la sueur de la nuit et des songes cauchemardesques.

Couchée depuis une heure. Mais insomnie ou bien somnolence entre rêve et réalité. J'ai noté un truc ce soir en arrivant dans ma chambre, l'odeur persistante a disparu. Voilà un mystère de plus. Une jour après le cambriolage. Les cambrioleurs ont-ils volé ce qui puait ?

En tout cas ils ont volé le bracelet. J'ai encore cherché ce soir, RAS. Je dois en parler à David...

Visite chez le CPE avec trente minutes de retard. Il a trouvé le moyen de me faire le reproche alors que j'étais en train de faire le nettoyage punition qu'il avait demandé :
- Je te félicite pas Sarah, tu joues avec la nourriture ?
- Ben j'étais sous la table !
- Courage fuyons !
- Ben j'aurais dû faire quoi d'autre ?
- De toute façon tout le monde a participé !
- Pfff n'importe quoi !
- Hey toi du respect !
- Si vous croyez que vous avez puni avec justice, c'est tout l'inverse...
- Ça me regarde pas !
- Ah bon un juge, ça juge sans savoir ?
- Je vais te foutre en colle si tu continues comme ça...
Je ne savais plus quoi faire de ma colère et de l'énergie de rébellion transmise par Paola. Une seule idée m'est venue en tête, faire ce que je fais de mieux en mieux, chialer !
- (Snif) J'ai été cambriolée hier... j'ai perdu tout ce que je possédais...
- Mais c'est horrible !!!

Et il est parti dans une théorie sur les cambriolages, ce qui attire les cambrioleurs ou pas, ce qui les fait revenir. Ce type a un avis sur tout et une leçon à donner à tout le monde sur tous les sujets.

J'ai fini tout juste à l'heure à 16h chez ma nouvelle kiné toujours très intrigante : « Vous n'êtes pas italienne non ? ». Pourquoi cette question ? Une intuition ? Ou bien parce que je sens les spaghettis bolognaises ?
Et puis évidemment elle était sur la piste, une assez bonne piste : « vous avez eu un petit choc récemment non ? Je sens une fébrilité de la cheville et des ligaments. » J'ai acquiescé sans expliquer et elle n'a pas osé creuser plus. Ma kiné est une extraterrestre ?!

C'était spaghettis bolognaises aujourd'hui. Je vous laisse imaginer la suite. Ça faisait longtemps qu'il y avait pas eu un food fight dans ce réfectoire austère. Et je mangeais avec les geeks en plein milieu de la salle. On a vu passer du parmesan au début d'un bout à l'autre, puis des pâtes sèches, puis des pâtes imbibées. La surenchère entre bandes rivales (« bobos » contre « richards » sûrement) qui s'insultaient en ricanant. Un peu de vrai, un peu de jeu, des fils et filles à papa qui s'ennuient sûrement. On a alors décidé tous les 5 de se cacher sous la table jusqu'à la fin de la tempête et l'arrivée des surveillants.

Et là j'ai entendu une grosse voix familière terrifiante. Ma Paola, en train de se prendre le bec avec les guerriers de la bolognaise, tout ça sans les images car pas question de risquer une balle tomatée :
- PAOLA : Petit morveux !
- Putain je l'ai eue la pintade ! Difficile de la manquer...Aie ...mais me touchez pas ! Aie mes oreilles...
- PAOLA : Putain je l'ai eu le morveux ! Qu'est ce qu'y dit le morveux ?
- Mais elle fait mal, je vais porter plainte, vous savez qui c'est mon père ?
- PAOLA :Tu sais qui c'est Paola ?
- Pfff c'est toi idiote ! Toi t'es rien et je parle pas à une servante comme toi !
- PAOLA : Ah t'as pas envie de parler ? Ben tu vas peut-être manger, allez avale la nourriture que t'es en train de gâcher.
- Mais aidez-moi les mecs, aidez-moi, bande de lâches.
Tout ce que je réussissais à voir c'est que la bande adverse se réjouissait et préparait un feu d'artifice de spaghettis roulés en boule !!! Et hop envoyé, splash sur Paola! Grognement, rugissement...
- Mais elle me traîne dans le vide !
- PAOLA : Je t'apporte à tes copains d'en face pour qu'ils te fassent ta fête, ou que je m'occupe d'eux comme ils veulent
Et là j'entends des mecs courir comme des lapins et sans rire.
- Mais qu'est-ce qu'elle veut la boule ?
- PAOLA : ah toi aussi tu cherches les problème ? Tu veux aussi manger tout ce que t'as envoyé ?
- Je vais le dire à ma mère...
- PAOLA : et moi je vais le dire au Proviseur que t'as joué avec la nourriture...
Le mec se met à pleurer et elle le relâche. On se décide alors à sortir de notre cachette, la cantine est un champ de bataille rouge. Tous les coupables se sont échappés visiblement. Il reste Paola qui ronchonne, enduite de sauce tomate sur sa blouse blanche et des spaghettis dans les cheveux. Et il reste le groupe des neutres du milieu comme nous et une vingtaine d'autres personnes.

On reprend nos esprits, je savoure ce que j'ai entendu sans rien voir : la Paola mettant une raclée aux petits prétentieux du lycée. Paola avait bien décidé de mettre le souk à la cantine aujourd'hui. A mon avis c'est joué, elle n'en a plus rien à faire, elle a plus rien à perdre.

Malheureusement le CPE arrive et met tout ceux qui restent à l'amende : nettoyage de la cantine jusque dans les recoins et jusqu'à ce que ça brille. Et bien il est 13h15, y'en a qui vont rater les cours, moi je n'ai qu'un rendez-vous, le CPE !

C'est toujours les non-coupables qui trinquent, et les coupables qui s'en sortent au lycée. C'est une règle systématique. Tout les adultes s'en foutent de la justice du moment qu'ils trouvent des boucs émissaires. Est-ce que ça change plus tard ? Pas sûr puisqu'on retrouve ces mêmes adultes...

Et on est parti pour récurer à 20 avec Paola en cheftaine.

Ce qui me réjouit c'est qu'elle en a maté 2, les autres ont fait pipi dans leur culotte et n'oseront jamais dire qu'ils ont été maltraités par ma Paola puisqu'ils sont très coupables d'avoir joué à Yo Mamma version Napolita Cucina.

A 14h30, fin du nettoyage. Paola vient me voir : « Tu m'as redonné la pêche l'autre jour tu sais... de toute façon tu me la donnes tous les jours la pêche. ». Ah bon ?

J'ai pas dormi ou presque. Ce cambriolage ne me stressait pas du tout jusque là et m'amusait presque ! Je me disais : « enfin un truc palpitant dans ma vie qui va venir secouer un peu le quotidien !!!!!!!!!!! »

Mais dès que j'ai réalisé que le bracelet avait disparu, la copie du mien, ou bien plutôt l'original du mien, j'ai commencé à angoisser ! J'ai pourtant tout retourné pendant une heure avant de m'effondrer. Le Chien s'inquiétait de mon comportement étrange.

Et après j'ai tenté de me détendre dans mon lit. Ça a été pire. Mon cerveau fumait. Culpabilité, angoisse, culpabilité, incompréhension, recherche de compréhension, angoisse, culpabilité, stress, panique, pipi toutes les 30 minutes..............................................................

Heureusement que j'ai cours que ce matin. Je vais pouvoir faire baisser la tension cet après-midi.

Heureusement la tablette de David marche très bien, clavier bluetooth aussi. Je peux épancher ma détresse sur l'écran et les touches qui s'en prennent plein la tête !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Notamment les points d'exclamation qui me défoulent. Et aussi les points d'interrogation ??????????????? ou bien suspension......

J'ai finalement comme un gros doute. Ai-je bien entendu cette conversation ? Je me demande si c'est pas mon imagination... l'esprit errant d'une gamine qui cherche à remplir sa vie complètement vide...

La police est venue, mais n'a pas pris d'empreintes... ça se passe que dans les séries américaines qu'on prend les empreintes et qu'on utilise du luminol pour la disparition du chat. D'autant plus qu'on a rien volé... mmmh bizarre cette histoire.

Je me suis fait plusieurs remarques :

1/ Mais où était le Chien pendant le cambriolage ? Ça n'a pas eu l'air de le traumatiser. Il dormait tranquillement dans ma chambre quand la police est passée. Et je ne sais pas vraiment où il était quand je suis rentrée... ah mais si... il s'était installé sur un des coussins du canapé jeté par terre. Enfin un appel pour la transgression pour lui, ce coussin si moelleux et interdit d'accès quand les Vieux sont là...

2/ Quelle chance j'ai eue dans mon malheur... je me suis débarrassée de l'ordi portable un jour avant ! Sinon il aurait peut-être disparu dans cet étrange cambriolage. Mais ils n'ont rien volé selon les Vieux. Faut dire que, qui voudrait de cette vieille télé cathodique, du vieux mixeur des années 70, de l'ordinateur fixe du Vieux qui pue le tabac dans son bureau... Mon ordi était sûrement ce qui avait le plus de valeur ici !!! A moins qu'il y ait des choses bizarres dans la pièce du fond...

3/ Mais d'où venait le Vieux quand il est rentré soudainement dans le couloir ? C'est la dernière porte qui cache bien ses secrets... Une porte fermée à clé, des pas qui m'ont prévenue du retour du Vieux suffisamment longtemps à l'avance donc une certaine surface...

Beaucoup de questions... et je suis très intriguée par cette pièce qui semblait anormalement vide... et cette conversation anormalement bourrée de mystères...

Tiens je me demande si le « faux » bracelet des Pestes qui pourrait être le vrai bracelet en fait est toujours bien dans ma super cachette sous mon matelas...

Argh.....................................................................................................
Il a disparu !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

J'ai une montée d'adrénaline là... peut-être qu'il a simplement disparu dans la cohue ? Peut-être qu'il a été volé ? Peut-être que c'est ça qui avait le plus de valeur dans cet appartement ??????????????????????????

Faut que je prévienne la Police... mais suis-je conne ! Ce bracelet n'est pas à moi, David l'a chipé pour moi croyant que c'était le mien et moi j'ai l'ai conservé pendant 3 mois. Se faire voler un objet volé c'est du vol ?

Vol et recel, on va aller en taule !

Quand je suis arrivée ce soir sur mon palier, ma porte était grande ouverte. Inquiète, je passe une tête sans rentrer et là je vois la Vieille dans tous ses états : elle est au téléphone et donne notre adresse. L'appartement est sens dessus-dessous !!!!!!!!!!!! La Vieille est paniquée : « Oui je reste en ligne. Vous m'envoyez une patrouille ? Ben oui c'est un cambriolage ! Quoi ça ? Ah ben j'ai pas encore fait l'inventaire !!! Je vous ai appelés d'abord ! Je suis terrifiée ! »

C'est une vision apocalyptique. Placards de la cuisine vidés. Nourriture éparpillée. Canapé et fauteuils retournés. Mais la télé et l'enregistreur sont toujours là : ouf ! Je vais dans ma chambre : c'est pas mieux. Mes vêtements sont éparpillés sur le sol, mes livres sont par terre et semblent avoir été feuilletés, page par page.

Dans le couloir c'est le foutoir ! Et j'ai l'impression qu'une porte qui m'était inconnue jusqu'à maintenant offre ses mystères aux yeux de tous. Oui c'est la dernière porte sur la gauche ! Elle a été défoncée au pied de biche, j'ai vu ça dans les séries. Donc elle ne ferme plus. Ouh ça réveille ma curiosité mais j'ai un peu peur. Je ne sais pas si la Vieille a tout exploré. Peut-être que le ou les voleurs sont encore là ?

Je retourne dans ma chambre pendant que la Vieille râle et se plaint que je ne l'aide pas. Hé, moi aussi j'ai des choses à ranger... Mais faut peut-être attendre la police ? Les prises d'empreintes ? Bon j'arrête tout ! Et ma curiosité me ramène dans le couloir où j'avance à pas de loup.

J'ai l'impression d'être au cœur d'un thriller. Mais dont je serais encore une fois spectatrice. Je me sens tellement pas chez moi. Et la mauvaise humeur de la Vieille me fait presque plaisir.

Je passe devant la chambre d'Émilie qui semble avoir été épargnée mais il faut dire qu'elle était déjà très vide. Chambre des Vieux : la bombe n'est pas passée par là. Salle de Bains, Toilettes... bizarrement intacts. Tiens si on a quelque chose à se faire voler c'est là qu'il faut le cacher !!! Et j'arrive devant la porte mystérieuse encore ouverte : mon Dieu !!!!

C'est une pièce vide ! Et spacieuse ! Mais pourquoi c'est pas une chambre ? Ma chambre ? Pourquoi j'ai un cagibi-dortoir moi ? La peinture blanche est jaunie. Il y a des traces carrées sur le parquet. Cette pièce n'est visiblement pas bien entretenue. Mon nez frétille, il y a une odeur familière... celle que je sens dans ma chambre de temps en temps. Un truc un peu fétide, humide, pourri mais dur à décrire, quelque chose de totalement inconnu. Je n'ose pas y pénétrer, mais j'observe attentivement : aucun meuble, des traces de... paille jonche le sol. Que dire de plus ? La fenêtre qui donne sur un puits de lumière est condamnée. On dirait que cette pièce mystérieuse est un petit coffre-fort.

J'entends des pas qui arrivent pas loin... derrière la dernière porte inconnue qui clôt le couloir. J'entends un cliquetis de clé. J'ai la frousse. Vite aux toilettes. Je referme ma porte quand j'entends la porte du fond s'ouvrir.

Je tire la chasse pour être tranquille.

Et j'entends le Vieux parler à la Vieille :
- C'est Sarah qui est rentrée ?
- Ben qui d'autre ?
- Très drôle !
- J'ai pas envie de rire...
- C'est bon ? ajoute-t-elle avec agressivité.
- Oui tout est bon. Ils peuvent venir.
- Ben ils sont en route. Tu es vraiment sûr que ça vaut le coup ?
- Pfff j'ai rien à voir avec ça. On dit qu'on est rentrés vers 17h c'est ça ?

Quelle étrange conversation ! Et moi si on y réfléchit bien, j'ai aussi un comportement étrange : j'ai tiré la chasse et je suis restée cloîtrée aux toilettes, scotchée par cette conversation.